Le président de la République, dont l'agilité d'esprit a montré qu'il sait s'adapter aux mouvements de l'histoire, peut-il abandonner les principes qui ont structuré sa politique économique et sociale et se réincarner en un leader du deuxième type, devenir celui sur lequel les Français peuvent compter ? Il sortira vraisemblement très affaibli de la crise sanitaire. Il est même allé jusqu'à envisager il y a quelques jours une sorte de gouvernement d'unité nationale qui inclurait l'opposition dans l'équipe présidentielle. C'est assez dire qu'il envisage le pire.
Son bilan est déjà plus que morose : tout ce qu'il a fait à ce jour a été balayé par une tempête inattendue. Or il avait des acquis, des réformes qui ont amélioré le marché du travail et abaissé le taux de chômage. Il a résisté au mouvement des gilets jaunes, si véhément et dur qu'il aurait emporté un autre président. Il reste en Europe le leader le plus conforme à ce que les Européens, pris dans leur diversité, attendent d'un chef : réalisme, recherche du consensus, promotion de l'idée phare qu'unis ils iront plus loin et que désunis ils n'iront nulle part. Il peut se heurter frontalement à Angela Merkel ou Mark Rutte (Pays-Bas), aucun de ses partenaires, contrairement aux partis d'opposition en France, ne conteste sa légitimité. Il voudrait bien qu'elle ne soit pas contestée en France, mais elle l'est, pendant que nos partenaires européens, qui avaient salué son courage réformiste, regrettent que le Covid-19 ait arrêté net son élan.
Non seulement il aura beaucoup de mal à juguler la crise, qui va durer jusqu'à la mise au point d'un vaccin, mais les mesures affreusement coûteuses qu'il a été contraint de prendre sous l'empire du pragmatisme pour atténuer les effets sociaux de la pandémie, vont dans le sens opposé de ses réformes. La logique voudrait qu'il reconnaisse que les réformes à venir ne seront pas les siennes, qu'il ne s'agit plus d'insérer la France dans la bataille internationale des économies, mais de donner un répit à un peuple à bout de souffle, sonné, comme les autres, par le Covid-19. Et que, pour financer la protection de notre société, il ne pourra que dépenser plus, augmenter le déficit budgétaire et la dette, action qu'il y a trois mois, il aurait jugée inacceptable.
Son atout : l'intuition
Il peut certes compter sur les oppositions pour dénoncer sa faible réactivité à l'arrivée de la pandémie, mais il n'est pas obligé de les écouter. Il veut, en choisissant la stratégie périlleuse du déconfinement, montrer que lui, en tout cas, est capable de remettre la France en route. Il expliquera sans doute qu'il n'est pas uniquement l'homme des réformes, mais celui, aussi, qui, accablé par une crise imprévue, n'a jamais lâché les rênes du pays et qu'on doit lui faire confiance, car il serait assez intelligent et versatile pour changer de programme quand ce changement devient une nécessité.
Le nombre des obstacles étant élevé, on ne partagera pas son optimisme. Il y a eu, sous son mandat, une crise sociale qui ressemblait bel et bien à une révolution, qu'il a su, quoi qu'on en dise, et quoi qu'aient fait partis politiques et syndicats pour la récupérer à leur avantage, la juguler, l'ouragan de l'épidémie emportant dans son souffle immense les derniers ilôts de résistance. Une seule chose le qualifie pour un second mandat : l'intuition incroyable qui l'a conduit à la magistrature suprême et dans laquelle il puisera encore quand il faudra engager une bataille électorale contre l'opposition. Il ne lui sera pas difficile de décrire la distance entre les mots des partis trop pressés de parvenir au pouvoir et les actes qu'ils sont capables d'accomplir. La démocratie ouvre la place aux critiques, mais pas à l'absence de programme. Il ne sera pas moins aisé, pour LR ou LFI, de bâtir un projet présidentiel qui tienne compte du changement induit par le virus, qui a contaminé nos institutions. Macron dira que, contrairement à d'autres, lui, il est vacciné.