Il en va ainsi des blocages de dépôts de carburants qui empêchent déjà nombre de nos concitoyens de rouler en voiture. Un peu comme si l'idée consistait à les contraindre de marcher, par souci de l'environnement. Lequel, par ailleurs, s'est transformé en foi contemporaine dont le Dieu compterait moins que ses prêtres sévères qui nous rappellent tous les jours où est notre devoir. Vous aurez remarqué qu'il y a toujours quelqu'un pour nous dire ce qu'il faut faire. Non pas parce que la loi nous y contraindrait, ou parce que la solidarité fiscale est indispensable, ou au nom de la morale, ou à celui de la discipline, mais parce que d'autres y croient dur comme fer et que, si nous ne partageons pas leur point de vue avec la même intensité, nous sommes marginalisés, critiqués et condamnés. Ainsi en est-il du féminisme : si vous êtes un homme, vous aurez beau protester de votre innocence, de votre galanterie, de votre sollicitude à l'égard de toutes les femmes, vous continuerez à nourrir leur suspicion, au point que vous aurez tout intérêt à vous taire, le discours n'ayant aucun pouvoir contre une conviction largement partagée. Voilà l'occasion pour moi de rappeler que la plupart des hommes cultivent la compagnie des femmes sans avoir besoin de courir le guilledou. Ils les aiment seulement parce qu'elles sont femmes, donc différentes des hommes, et, si la conversation devient suspecte sous l'emprise d'une dérive maladive, c'en est est fini d'un plaisir simple, sain et courtois.
Les lunettes de l'humanité
Bien entendu, à l'origine de cette crise entre les sexes, comme à celle de la grève et des manifestations d'aujourd'hui, comme pour l'avenir de la planète, il existe, de toute évidence, des facteurs incontestables. Mais comment dire ? C'est un peu comme si l'humanité était à la fois myope et presbyte, que l'ophtalmo lui avait prescrit des lunettes et que les ayant mises sur son nez, elle a soudain aperçu les sinistres stigmates d'une mode de vie dévoyé : coups infligés aux femmes, inégalités sociales, comportements qui méprisent l'environnement. Dans chacun de ces domaines -et il y en tant d'autres-, il était temps de réagir. Et réagir prend du temps, surtout quand il s'agit de nettoyer la Terre sur laquelle nous vivons. Les injustices, outrances, vulgarités de naguère deviennent d'un seul coup insupportables et pas seulement pour les militants enragés que ces causes du XXIè siècle ont fait naître ; nous sommes tous concernés. Mais, comment dire, il nous faut, pour aller de l'avant, et donc pour nous associer à ces combats, qu'on nous laisse un peu de joie de vivre.
Car, très sincèrement, ils nous en privent, ces manifestants-casseurs qui nous semblent plus dérangés que sincères ; elles nous privent de toute joie de vivre, ces militantes du féminisme qui voient dans nos propres dénégations, dans notre engagement en leur faveur la preuve même de notre culpabilité ; elle nous en prive, Greta Thunberg qui, du haut de ses seize ans, continue de nous haranguer avec l'arrogance d'une militante septuagénaire, laquelle aurait au moins l'avantage de l'expérience. Dans leur culte de la justice sous toutes ses formes, que ces rabat-joie pensent un peu à nous, et qu'ils commencent à appliquer la présomption d'innocence : je vous jure, chère Greta, que je fais de mon mieux pour séparer les déchets ; je vous jure, Mme Schiappa ou Mme de Haas, que je n'embrasse aucune femme sans sa permission et beaucoup mieux, que j'ai si peur de vous que je préfère m'en passer le plus souvent. Je vous jure, grévistes, black blocs et gilets jaunes, que je ne suis pas riche, que j'habite un petit appartement de banlieue, et que je n'ai pas changé de voiture récemment. Je vous jure que je n'ai jamais été l'ennemi de personne, croyant naïvement qu'en démocratie tout se règle par la négociation. Je ne suis l'ennemi de personne, mais ils m'ont désigné comme leur ennemi.