Le phénomène corollaire mérite d'être décrit plus que le sujet lui-même : on peut faire dire n'importe quoi à la « transformation » du régime des retraites parce que, depuis plusieurs mois le nombre des fausses informations qui circulent sur le sujet est supérieur à celle qui sont exactes. La responsabilité doit être attribuée aux énormes erreurs de communication commises par le gouvernement ; à un désaccord entre le président et le Premier ministre qu'ils ont bien du mal à cacher ; aux foucades des oppositions qui ont apporté des mensonges au flot des nouvelles exactes. Mais surtout, l'idée du gouvernement de renoncer à l'âge pivot sans vraiment le retirer complètement, avec le vain espoir de négocier avec les syndicats réformistes, tout en présentant le projet de loi à l'Assemblée nationale sans que le texte de la réforme soit encore rédigé, a porté la confusion à son point d'ébullition.
Secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez n'a pas tort de rappeler que la CFDT n'est pas le seul syndicat français, façon d'affirmer que l'exécutif doit compter avec l'intransigeance de plusieurs syndicats qui continuent à faire grève et à manifester et se gardent bien de saisir la main tendue par le gouvernement. De leur côté, les syndicats dits réformistes se demandent, encore aujourd'hui, si c'est du lard ou du cochon : ils ne comprennent pas la stratégie du pouvoir qui consiste à s'appuyer sur sa majorité parlementaire pour renforcer ses positions et ne retire l'âge pivot qu'à certaines conditions. Loin d'avoir mis en déroute les organisations syndicales, il a aggravé la mêlée. Il ne les pas divisés en tout cas jusqu'à entamer une discussion durable. L'opinion, elle, constate qu'il est encore difficile de prendre le train ou le métro. C'est l'ïle-de-France qui souffre, il est vrai, plus que la province. Mais le tableau est celui du chaos, en dépit de la promesse qui nous est faite d'apaiser les différends et de pousser l'affrontement jusqu'à ce que les grévistes, non-payés, soient contraints de reprendre le travail.
Un manque de transparence
Bref, la crise n'est pas terminée, mais au lieu de contempler le tableau lumineux de ce que la réforme pourrait être, nous avons l'inverse, c'est-à-dire un écheveau inextricable, la mise en danger de tous les petits commerces, l'affaiblissement économique, sans que personne ne puisse dire quand cette folie bien française sera parvenue à son terme. Les sondages d'opinion continuent de nous dire que les Français, dans leur majorité, soutiennent les manifestants et grévistes, mais au fond, le scepticisme est général parce que le gouvernement n'est pas convaincant, de sorte que la bonne question n'est pas posée : les Français croient-ils que le système actuel est le bon, ou croient-ils au contraire que la réforme le renforcera ?
Pour une réforme aussi ambitieuse, il fallait une transparence totale. Oui, la réforrme diminue les inégalités entre retraités, oui, elle prévoit un minimum de 1 000 euros pour ceux qui n'ont pas bien gagné leur vie active, oui, la pension de reversion des veuves sera plus généreuse. Mais inversement, elle ne rassure pas, ou pas encore, ceux dont le travail est physiquement pénible et qui ne se voient pas faire les manutentionnaires jusqu'à 64 ans. En outre, on assiste, dans cette affaire, à une incroyable élasticité du temps. La réforme sera appliquée en 2025, non, 2027, non en 2050. Elle concernera ceux qui sont nés en 1963, non en 1975, ou peut-être plus tard ? Dans ces conditions, il est impossible d'en juger le contenu ou d'en évaluer les conséquences. Et on ne voit pas pourquoi certains syndicats ont décidé, dès le premier jour, d'en exiger la suppression pure et simple, alors qu'ils ignorent eux-mêmes si le nouveau système sera pire ou meilleur que l'actuel.