Il s'agit sans aucun doute d'un choix téméraire, qui a aussitôt soulevé son cortège de critiques : le retour des Français au travail risque de se traduire par une nouvelle flambée de la pandémie, qu'il entend juguler par des précautions drastiques. Mais il ne peut pas ignorer qu'au rythme où vont les progrès contre la maladie, et ces progrès sont authentiques, il nous faudrait plusieurs mois de déconfinement pour venir à bout du virus. Ce n'est pas que le gouvernement n'ait pas multiplié les mesures d'aide aux citoyens et aux entreprises. En dépit de ces mesures sans précédent, la France a perdu 8 % de son produit intérieur brut, soit près de 200 milliards d'euros et son déficit budgétaire a augmenté de 9 %. Il suffit d'observer la réalité nouvelle entraînée par la mise à l'arrêt de l'économie : nous ne pourrons plus financer le volet social du budget si la machine économique n'est pas relancée.
Cela remettrait en question non seulement notre capacité à lutter contre le Covid-19, et donc à livrer à la mort des milliers de patients atteints, mais à plonger dans la misère quinze millions de retraités et tous ceux qui, déjà, ne parviennent pas à joindre les deux bouts. Il est donc impossible, au nom du déconfinement, de trahir les intérêts immédiats de nos concitoyens. Si le crédit de la France est intact, elle ne peut pas emprunter sur les marchés l'équivalent d'un an ni même de six mois de production.
Dans la liste des pays qui se battent contre la pandémie, la France, en dépit du manque de masques, de surblouses et de respirateurs se situe dans la moyenne. Elle s'en sort mieux que l'Italie, l'Espagne ou les États-Unis, qui ont déjà payé le prix fort au virus, mais moins bien que l'Allemagne, qui enregistre un nombre de décès quatre fois inférieur au nôtre, un miracle dû aux tests et à un équipement hospitalier suffisant. Notre pays est donc victime d'une politique hospitalière qui, depuis plus de vingt ans, a été axée sur les économies. M. Macron n'a pas inventé cette politique, mais il l'a poursuivie. L'intérêt de dizaines de millions de téléspectateurs pour les quatre discours que le président de la République a prononcés en six semaines montre que, de toute façon, les Français n'ont pas le choix d'un programme alternatif, lequel ne pourraît être engagé qu'au terme d'élections anticipées. Critiques et querelles autour de la lutte contre le coronavirus sont donc parfaitement dérisoires.
Une thérapie pour les relations internationales
Le virus a changé la France, l'Europe, dont il a accentué les fragilités, et la totalité des économies du monde. Ce que nous vivons n'est pas seulement une guerre, c'est une sorte de séisme surpuissant qui a changé les structures nationales et les relations internationales. Celles-ci ont révélé des égoïsmes, un chauvinisme, une absence d'éthique qui en disent long sur le cynisme et l'opportunisme d'un certain nombre de gouvernements dictatoriaux ou autoritaires. Le sauve-qui-peut et le chacun pour soi auront été la règle générale pendant une crise qui exigeait plutôt la compassion et la magnanimité. Il semble que celui qui ait le mieux compris cette dérive due à la panique, c'est encore le président français. Il en résulte que, si la bataille aura fait beaucoup de victimes et affaibli les optimismes nationaux ou l'arrogance de certains gouvernements, la victoire espérée exigera un code mondial des rapports entre pays, entre les groupes déjà constitués, Europe, Amérique, Chine et Russie, et à l'intérieur même de ces groupes.
M. Macron, dont le programme réformiste a été brutalement interrompu, devra donc s'atteler à une tâche encore plus difficle. Il devra contribuer à la thérapie dont le monde a besoin. Il devra rendre à la France les moyens de sa souveraineté qui ne sont pas seulement des armes, mais des instruments de relance de l'économie et de progrès social.