Certains syndicats, qui exigent depuis le début de cette farce sinistre que les pouvoirs publics retirent leur projet, comme si, du point de vue politique, il était possible que l'exécutif renonce sans y laisser sa crédibilité, rejettent du revers de la main les concessions déjà consenties par le gouvernement. Pourtant, elles vident la réforme de ses ambitions, en réintroduisant dans le système des inégalités factuelles, avec le maintien de quelques régimes naguère appelés régimes spéciaux et qualifiés aujourd'hui de « spécifiques ». On ne s'attardera pas sur l'évolution de la sémantique, chargée d'excuser les pires reculs. Le salarié lambda, qui perd trois heures de plus chaque jour dans les transports, souhaite seulement voir la lumière au bout du tunnel. S'il tarde à désigner les vrais coupables, c'est parce qu'il déprime, qu'il est las, et que la diffamation de la retraite par les organisations syndicales et par les partis d'opposition, tous unis pour la récuser, mais désunis pour en proposer une autre, a fini par lui laver le cerveau.
La crise longue et pénible que nous vivons réunit les opposants et les partisans de la réforme dans le même langage autrefois utilisé par les révolutionnaires de tous les pays : faire des sacrifices maintenant pour mieux vivre plus tard. Ce que l'on a appris de cette expérience, c'est que la certitude de la galère (et même du calvaire) immédiate ne débouche pas nécessairement sur plus de liberté et de bonheur. La description d'une réforme plus égalitaire, plus juste, et plus durable ressemble à une promesse d'avenir lumineux ; l'appel au maintien d'un système que l'on n'a cessé de critiquer pour en faire ensuite une apologie propre aux sycophantes montre assez bien où nous conduit le débat politique : aux pires effets de la démagogie. La réforme des retraites n'est pas dictée par la volonté de quelques experts enfermés dans des bureaux où pullulent les dossiers techniques. Elle est imposée par le mouvement démographique, l'espérance de vie, la faiblesse de la croissance.
Tuer politiquement le président
On politiise une affaire qui, en réalité, constitue un défi à l'intelligence, exactement comme la dégradation de l'environnement et le réchauffement de la planète. Ou bien nous sommes incapables de dominer la crise et nous nous réfugions dans ce que nous aimons parce que nous y sommes habitués ; ou bien nous prenons le taureau par les cornes et nous affrontons le problème avec assez de courage pour admettre que ce qui marchait fort bien en 1945 ne fonctionne plus en 2020. Ou bien nous descendons la pente vers un régime en faillite, ou bien nous freinons la chute. Que viennent faire, dans cette histoire, les affrontements idéologiques ? Et, s'il n'y a pas assez de justice dans le projet, qui se demande s'il y en a actuellement et s'il est juste que les contribuables soient contraints de payer de leur poche les retraites des conducteurs de métro ? De même que pendant la grande crise des gilets jaunes, mouvement d'une sincérité exemplaire, mais nihiliste, on a tout fait pour dénaturer les institutions d'une grande républ;ique, de même on est prêt maintenant à gagner la bataille en tuant politiquement le président.
Ce n'est pas lui qu'il faut défendre, c'est la retraite pour tous. Ce n'est pas sa survie politique qui doit nous importer, c'est le sort de nos concitoyens. La débâcle du pays n'est pas seulement dans le désordre qu'animent les grévistes et les protestataires, elle réside dans la perte de rationnel qu'indiquent les résultats électoraux et les sondages d'opinion. Il n'y a absolument rien de logique dans les prises position des gilets jaunes qui se sont eux-mêmes condamnés à disparaître tant ils ont eu peur du rétablissement de l'ordre. Il n'y a aucune logique dans la position de la droite qui combat farouchement la réforme qu'elle appelle de ses vœux, mais n'a pas su la faire et va même, non sans un peu de cette ignominie qui finit par gagner les vieux partis politiques, dire qu'elle en ferait une autre, encore plus radicale, mais avec quellles conséquences ? Il n'y a rien de logique dans les critiques du RN dont le calcul mental semble très limité, ni rien de sincère chez la CGT qui met un pays à genoux pour gagner quelques milliers de voix dans les élections syndicales.