Tout le monde pense à 1995, année d'un affrontement terrible entre le pouvoir et les syndicats, avec des grèves qui ont paralysé le pays pendant plusieurs semaines. Le gouvernement en est conscient qui, après avoir dépensé 17 milliards pour apaiser les revendications des gilets jaunes, s'apprête aujourd'hui à déverser des tombereaux d'argent sur l'hôpital, qui en a cruellement besoin. Il est peu probable cependant qu'il parvienne à éteindre l'incendie dont les causes sont plus morales, on pourrait même dire caractérielles, que matérielles. Emmanuel Macron est la cible de toutes les haines. Son impopularité dans les classes moyennes et pauvres a atteint un niveau alarmant. C'est lui et ce qu'il représente, notamment les institutions de Ve République, qui sont en cause, et qu'une fraction non négligeable de la population, animée par une violente aversion, veut éliminer.
Le président de la République n'est pourtant pas resté inerte. Il y a longtemps qu'il a compris qu'il fallait prendre la crise sociale et politique à bras-le-corps. Sa thérapie n'est pas sans danger. Elle consiste à déverser des flots d'argent sur les revendications. Or le budget de 2020 est bouclé et de nouvelles dépenses, pour l'hôpital et pour le reste, creuseraient un déficit budgétaire de 3,1 % de la production nationale brute. Bien entendu, l'exécutif a le sens des priorités et comprend fort bien qu'entre la compression du déficit et la paix sociale, le choix est simple. C'est évidemment vers le calme qu'il veut aller s'il doit finir son mandat. En même temps, la contestation a pris un tour tellement irrationel que M. Macron ne sait pas si de nouvelles mesures financières auront l'effet recherché.
Le vent vient d'ailleurs
On s'indigne souvent du sort qui est fait au gouvernement, mais il faut replacer la crise nationale dans le contexte international. Partout règnent l'excès, l'exagération, la violence et la haine pour toute forme d'autorité. Cette dimension des mécontentements est la résultante de deux facteurs : d'une part, la glorification de l'individu dans nos sociétés contemporaines et un sens aigu de la liberté conduisent les peuples à se conduire au mépris de la logique ; d'autre part, la hauteur des exigences est parfois inaccessible aux budgets nationaux dans un univers où l'endettement public et privé est astronomique. La crise française est inséparable de la crise mondiale qui couve : personne ne sait où nous entraînent la baisse invraisemblable des taux d'intérêt, les bulles spéculatives, le creusement des inégalités. Les thérapies des banques centrales pour soigner le ralentissement économique ont été indispensables après la crise de 2008. Mais elles se poursuivent onze ans après un traitement de choc qu'il est plus que temps d'arrêter.
M. Macron est un homme d'idées qui rejette les conflits et tente de s'interposer là où éclatent les crises, entre l'Amérique et la Chine, entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne, entre la Russie et l'Ukraine. Il apporte en outre un credo qui repousse les actes violents et arbitraires des Poutine, Erdogan ou Assad. Il protège l'économie française en se faisant son VRP à l'étranger ; il a changé de méthode, de ton et de discours en France même et il se jette avec courage dans un débat où, à l'absurde, il oppose les règles de gestion de l'économie. Il ne peut pas nier pourtant qu'il se retrouve dans une grande solitude. Il se bat pour des valeurs ou des principes que le peuple ne partage plus avec lui. Il croit en l'intégrité quand d'autres préconisent d'en finir avec elle et d'adopter les méthodes qui ont tant de succès à Moscou, à Damas ou à Ankara. Ou encore à Washington où la démocratie est parfois piétinée, où la loi du plus fort est devenu l'axe de l'action politique, où la démagogie et le mensonge servent de « vérité alternative ». Ce n'est pas Macron qui n'est pas à sa place au pouvoir, c'est le monde qui décline, un monde sans mémoire où l'on ne sait plus à quelles horreurs conduisent certains choix politiques.