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Dossier

Démographie : quand t’es dans le désert...

Les médecins ruraux réinventent l’exercice

Publié le 30/05/2014
Les médecins ruraux réinventent l’exercice


VOISIN/PHANIE

15 mois après le lancement du « pacte territoire-santé », la donne change doucement dans les zones sous-denses. Mais c’est souvent aux médecins eux-mêmes que l’on doit une amélioration de la prise en charge des patients dans les déserts médicaux. Regroupement, télémédecine, délégation aux paramédicaux, éducation thérapeutique… Sur le terrain, les initiatives fleurissent pour pallier le manque de médecins et continuer de répondre, malgré tout, à la demande en soins de la population.

En décembre 2012, Marisol Touraine, annonçait une série d’engagements concrets devant permettre, à terme, de mettre fin aux déserts médicaux. Trois objectifs ont été fixés : changer la formation et faciliter l’installation des jeunes médecins, transformer les conditions d’exercice des professionnels de santé et investir dans les territoires isolés. Un peu plus d’un an après le lancement du pacte, le bilan est, au regard des chiffres, relativement positif. Mais sur le terrain et, notamment, dans les zones peu dotées en médecin, l’exercice de la médecine générale demeure pénible et les inégalités d’accès aux soins toujours une réalité.

Une médecine rurale en évolution

Premier constat, la médecine générale en milieu rural est en totale mutation, tant dans son organisation que dans sa pratique. Et, pourtant, le contenu des consultations se complexifie avec le suivi de patients âgés polypathologiques ou atteints de pathologies lourdes (cancer, fin de vie, maintien à domicile…).

« On fait peu de bobologie, on effectue des actes techniques (sutures, petites dermato, suivis de grossesses, doppler, explorations fonctionnelles respiratoires…), ce qui fait l’intérêt de l’exercice médical mais qui est très consommateur en temps et énergie », explique le Dr Elodie Lambert, installée à Montrésor, un charmant village situé en zone de revitalisation rurale (1) à 70 km de Tours. De fait, les généralistes de ces zones désertiques ne comptent plus leurs heures. Le Dr Lambert travaille entre 80 et 100 heures par semaine et estime sacrifier sa vie privée, le Dr Daniel Desdouits, installé à Valençay à 60 km de Blois (1), pas moins de 13 heures par jour. « Il faut pouvoir rester digne au moment de la consultation », explique-t-il. Car, au-delà du nombre croissant de patients à suivre en raison d’une raréfaction des praticiens en milieu rural, coexiste une quantité de tâches administratives extrêmement chronophages à assumer. « Je n’ai même pas les moyens de payer une secrétaire », regrette ce praticien. Le Dr Lambert apprécierait, elle aussi, la présence d’une secrétaire, « mais il faut être à plusieurs médecins pour pouvoir l’assumer financièrement ».

Maisons médicales : la fin de l’isolement

Pour partager les frais et mutualiser les équipements, l’installation en maison médicale de santé semble une bonne option pour un nombre croissant de praticiens. Tel le Dr Charles Legroux, qui attend avec impatience l’ouverture de la maison de santé d’Urcel, un village picard en plein désert médical (2). Le projet coûtera 740 000 euros à la commune, mais permettra aux médecins (trois généralistes, deux infirmières, un kiné et un dentiste), de travailler en réseau, partager les charges et la patientèle. « La structure doit rester souple pour que les décisions soient prises rapidement », fait remarquer le Dr Legroux. « Une structure hospitalière serait trop lourde et n’est pas une solution pour les déserts médicaux », complète ce médecin de campagne, qui revendique, avant tout, être un médecin de famille connaissant bien ses patients. Selon lui, la médecine de campagne se doit d’être personnalisée : « La médecine impersonnelle n’est pas une bonne médecine ».

Avis partagé par les praticiens de la Communauté de communes du Pays de Mayenne (3) qui bénéficieront bientôt d’une maison médicale ultra-moderne. Si le bâtiment n’est pas encore disponible, le regroupement virtuel d’une soixantaine de professionnels de santé qui exercent actuellement en cabinets satellites fonctionne déjà. Ce pôle de santé multisites cèdera bientôt sa place à un bâtiment unique que partageront généralistes, spécialistes, kinésithérapeutes, pharmaciens, infirmières, chirurgiens-dentistes, podologues, diététiciennes ainsi qu’un service de radiologie qui facilitera, entre autres, la prise en charge des urgences. La Communauté de communes évoque aussi la possibilité d’accueillir des antennes de certains services de l’hôpital (HAD, SSIAD). Une antenne de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ainsi que d’autres services administratifs investiront également bientôt les locaux de l’ancienne gendarmerie. « Nous devons trouver des solutions pour que la permanence des soins soit moins contraignantes », explique le Dr Luc Duquesnel, patron de l’Unof et l’un des médecins porteurs de ce projet. Selon lui, « le territoire de réflexion ne doit plus se limiter à la commune mais être étendu à la Communauté de communes. La réflexion doit porter sur un territoire plus vaste ».

MSP, les limites

Cependant, suggère le Dr Duquesnel, « il faut un leader par territoire, une personnalité qui inciterait les professionnels de santé à se regrouper ». Et gérerait les éventuelles mésententes… Car si, sur le papier, la maison de santé pluridisciplinaire fait l’unanimité, sur le terrain, les avis parfois divergent. « Les maisons pluridisciplinaires qui fonctionnent, explique, par exemple, ce généraliste d’une zone rurale sous-dense, sont celles élaborées par des médecins et autres professionnels de santé qui s’entendent bien et ont le même esprit de travail ». Dans son canton, une MSP existe, mais « les médecins qui y exercent communiquent peu entre eux, n’ont ni secrétaire ni salle d’attente en commun. Il n’y a pas d’entente ».

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Installé à Gouvieux, le Dr Richard Cassé (photo), secrétaire général de l’URPS Picardie, plaide quant à lui en faveur des pôles de santé plutôt que des maisons médicales en zone rurale. « Les maisons médicales tuent les derniers médecins qui ne veulent pas travailler en groupe. Elles ont un coût viable uniquement à plusieurs et avec une bonne activité. Si l’un des praticiens quitte le navire et n’est pas remplacé immédiatement, c’est le dépôt de bilan ».

Attirer les jeunes

Maisons de santé ou pas, Daniel Desdouits reconnaît que le train va dans le bon sens : « Les politiques ont compris que l’on n’attirerait pas les jeunes médecins dans les déserts médicaux en leur mettant une baïonnette sur la tempe ». Les conditions d’installation dans les zones manquant de médecins se doivent d’être attractives. L’installation dirigée n’est pas une option. Seules des incitations financières, des allégements fiscaux seront efficaces. La qualité de vie est également devenue un élément essentiel. Le médecin veut un certain confort de vie, d’autant que la profession se féminise. Si la commune n’a ni école, ni bureau de poste, ni boulangerie, point de salut.

Pour sa part, le Dr Legroux suggère : « La solution serait de mieux payer les médecins pour que le rapport temps de travail/revenu soit meilleur ». Et que l’activité demeure passionnante…

L’émergence de la télémédecine

Si les généralistes deviennent une denrée rare dans les déserts médicaux, les spécialistes ont, dans certaines régions, totalement disparu. Pourtant, ils sont indispensables au

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suivi des patients polypathologiques. Il faut trois mois aux patients du Dr Legroux pour être reçus par un gastro-entérologue ou un radiologue et plus de six mois pour voir un ophtalmologue ! Délais équivalents pour les patients du Dr Pierre Laurent (photo) qui exerce à Saint Martin-Valmeroux dans le Cantal (4). Ceux du Dr Lambert, à Montrésor,

doivent se rendre à Tours à 70 km. Or, ces distances sont un frein pour des patients âgés ou très malades.

La solution viendra peut-être de la télémédecine.

Télé-consultation, télé-expertise, télésanté... Ces dernières années, nombre de praticiens ont opté pour cette nouvelle forme de prise en charge. Dans certains endroits, la télé- expertise, par exemple, parait la solution idoine pour mettre en relation plusieurs professionnels éloignés via une plateforme Internet et téléphonique. Un généraliste, un infirmier libéral ou un médecin spécialiste peut ainsi solliciter l’avis d’un ou plusieurs confrères.

A Montrésor, le Dr Lambert a opté pour une solution simple. Elle loue un appareil d’électrocardiographie et transmet ses ECG à des cardiologues parisiens qui les interprètent. Un vrai plus pour ses patients, mais elle reconnaît que la location du matériel est chère.

Le Pôle de Santé de Mayenne développe, quant à lui, trois projets de télémédecine qui répondent aux besoins de la population locale. Le premier projet concerne l’ophtalmologie. « Avec 100 000 habitants, nous n’avons plus d’ophtalmologue, explique le Dr Duquesnel. Bientôt, une infirmière réalisera les fonds d’œil et les transférera à un spécialiste. » Le second projet porte sur la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque à domicile. Une balance et un appareil à tension seront installés chez les patients suivis en télésurveillance. En cas de données suspectes, l’infirmière libérale se rendra au domicile des patients contrôler leur état. « L’infirmière ne changera pas le traitement, précise le Dr Duquesnel, cela reste du ressort du médecin ».

Enfin, un projet de télé-dermatologie pour les plaies chroniques et les tumeurs cutanées va être lancé. Grâce à un dermatoscope installé chez un généraliste, les images seront transmises au dermatologue qui décidera, le cas échéant, de recevoir le patient. Solution miracle ? Pas forcément. Attention aux dérives, clament déjà certains.

« L’examen clinique, le toucher sont indispensables au bon diagnostic, fait remarquer le Dr Cassé. Et un généraliste n’est pas formé pour réaliser des échographies, par exemple. Le risque d’erreur est grand. »

Déléguer et éduquer

Même réticence concernant la délégation de certains actes aux paramédicaux. Perçue comme une bonne piste de réflexion pour soulager les médecins installés dans les déserts médicaux, les avis divergent quant à sa réalisation. Le Dr Lambert concède que, bien formée, une secrétaire pourrait faire un électrocardiogramme et transmettre le résultat à un cardiologue. Mais qui dit délégation de tâches, dit délégation de responsabilité. Et c’est là que le bât blesse. « Légalement, celui qui a rédigé l’ordonnance en est responsable », rappelle le Dr Cassé. Les paramédicaux ne sont que des exécutants. Mais une « super-infirmière » pourrait, après une première consultation, décider de la nécessité, en cas de pathologie plus complexe, d’envoyer le patient chez le médecin. S’il est plutôt favorable à la délégation, le Dr Cassé, comme nombre de ses confrères souhaite qu’elle soit encadrée. « Aujourd’hui, on ne peut pas réellement parler de délégation, constate le Dr Desdouits, il n’y a ni financement, ni protocole ».

On retrouve le même écueil concernant l’éducation du patient. Un patient bien informé est un patient acteur de sa prise en charge qui bénéficie d’une décision partagée et va peut-être moins souvent chez le médecin de campagne débordé. Dans la théorie donc, un praticien qui dispose de temps pour sa consultation va expliquer l’intérêt du traitement à son patient, lui fournir les éléments nécessaires à la compréhension de sa pathologie. Mais dans l’idéal, il faudrait aller beaucoup plus loin, organiser des formations, multiplier les dépliants informatifs dans les salles d’attente des cabinets… « Des formations destinées aux patients, ça se finance ! », clame le Dr Cassé. Car, au regret de tous, les moyens ne suivent pas.

Changer les mentalités

Reste que, malgré la difficulté de l’exercice, certains médecins installés dans les déserts médicaux gardent la foi et disent combien la médecine en milieu rural est un beau métier. C’est le cas du Dr Lambert, pourtant éprouvée par une suractivité quotidienne et l’impossibilité constante de prendre des jours de congé. « Il y a une relation humaine très importante, un réel échange avec nos patients dont certains deviennent des amis », explique-t-elle. Son confrère installé au cœur des monts du Cantal est même un fervent défenseur de la médecine de campagne. « Journalistes et hospitaliers doivent arrêter de critiquer la campagne ! L’exercice y est très agréable et Internet nous donne accès à toutes les ressources de la ville. » Le Dr Pierre Laurent ajoute qu’il est même urgent de « bannir le terme de désert médical ! » et de promouvoir les points forts de ces régions. à bon entendeur…

(1) Avec une densité moyenne de 241,7 médecins en activité régulière pour 100 000 habitants, la région Centre a la plus faible densité médicale juste derrière la Picardie.

 

(2) Avec une densité moyenne de 238,5 médecins en activité régulière pour 100 000 habitants, la région Picardie est la région ayant la plus faible démographie médicale de France.

(3) Avec une densité moyenne de 272,7 médecins en activité régulière pour 100 000 habitants, la région Pays-de-la-Loire se situe dans la tranche de densité supérieure de la catégorie des régions en densité faible. Elle est à la limite de l’intervalle de confiance.

(4) Avec une densité moyenne de 295 médecins en activité régulière pour 100 000 habitants, la région Auvergne se situe dans la moyenne de l’intervalle de confiance.

Source : 7e édition de l’Atlas national de la démographie médicale réalisé à partir des chiffres du Tableau de l’Ordre des Médecins au 1er janvier 2013.