La distance nécessaire entre les membres de l'Union lors de leurs conversations ne favorise sans doute pas la compréhension des points de vue et la bonne hiérarchisation des priorités. Berlin, La Haye et Helsinki ont évalué la requête des pays dits « du Sud » comme le simple prolongement d'une politique de dépense que n'ont jamais modérée les critères de Maastricht. On retrouve dans la position des pays dits « du Nord » la stricte discipline budgétaire qui leur a permis de dégager des excédents et en conséquence de les mettre au service de la lutte contre le virus. Bien entendu, le Sud, qui a laissé sa situation financière se dégrader n'a pas d'excuses. Mais l'épidémie a introduit un facteur tellement négatif que ne pas le combattre revient à trouer le coque du navire européen.
Les Allemands, notamment, mais pas eux seulement, ne comprennent toujours pas que l'Europe est leur marché et que donner le choix au Sud de périr au lieu d'emprunter revient à affaiblir pour des années sa capacité à importer des produits allemands. On ne plaisante plus : ce qui est en jeu, c'est la survie des malades et il serait indigne, inacceptable que des Européens meurent par manque de moyens ou que l'Italie ne se relève pas rapidement de la terrible récession dans laquelle nous sommes tous engagés. Certes, l'Allemagne a tenté d'atténuer la colère qu'elle soulève chez ses voisins en faisant plusieurs gestes de solidarité en leur direction, en faisant venir par train, avion ou hélicoptère des malades français dans ses hôpitaux ou en nous livrant du matériel vital, masques et respirateurs. La gratitude des Français ne les empêche pas de s'indigner des perspectives très négatives qu'ouvre l'intransigeance allemande sur la discipline budgétaire.
Le scénario grec
La chancelière Angela Merkel reste néanmoins l'humaniste qu'elle a toujours été et la promotrice acharnée de l'axe franco-allemand. Lundi, Thierry Breton, commissaire européen de nationalité française, tentait d'apporter une note optimiste dans ce tableau sinistre, en affirmant qu'aucun pays membre de l'Union ne serait abandonné à son sort. Dans ces conditions, soit le Nord ravale sa sévérité et donne suite à la requête d'Emmanuel Macron, soit l'Union trouve d'autres moyens de financement de la dette des trois pays visés, France, Italie et Espagne. Mais le chemin sera long et, pour le moment, on a plutôt l'impression que le scénario grec est appliqué à ces pays. Souvenez-vous : pour adhérer à l'euro, la Grèce avait menti effontément sur ses comptes et, lors de la crise de 2008, elle s'est retrouvée dépourvue de tout moyen d'intervention, ses caisses étant vides. À ce jour, elle n'a pas fini de payer les dettes accumulées lors de cette crise et sa production nationale n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant 2008.
La comparaison est faible car ni les Français ni les Italiens ni les Espagnols n'ont jamais menti sur le montant de leur déficit budgétaire ou sur celui de leur dette nationale. Ils sont victimes d'une crise que personne n'a prévue, qui est mondiale et qui les surprend alors même qu'ils essayaient, par divers moyens, de rétablir leurs équilibres fondamentaux, certes avec un succès mitigé mais avec une réelle sincérité. La vérité ultime est que l'épidémie a déjà affaibli l'euro, largement déprécié par rapport au dollar alors que les États-Unis sont atteints au même titre que leurs partenaires commerciaux et que la monnaie unique n'a vraiment pas besoin d'être affaiblie davantage, même si elle apporte aux exportateurs européens un atout supplémentaire. Les pires des défenseurs de la discipline s'en rendent sûrement compte. C'est à eux de savoir si, pour le bien de tous, y compris d'eux-mêmes, il ne faut pas remplacer certains dogmes par le réalisme et le pragmatisme.