Était-il légitime de soumettre Varsovie et Budapest à un chantage ? Peut-être que non, mais il n'était pas légitime, pour commencer, de s'engager dans une dérive autoritaire qui menace les fondements mêmes du droit européen. D'autant que la Pologne et la Hongrie figuraient parmi les bénéficiaires nettes du plan de relance et ne seraient jamais parvenues à leur degré actuel de développement sans l'aide constante de l'Union européenne. La question de l'État de droit a été mise entre parenthèses, ce qui dissout le blocage, mais reviendra ultérieurement dans les discussions, le meilleur soutien aux thèses de l'Europe démocratique venant des populations que les régimes hongrois et polonais veulent placer sous le joug de leurs diktats.
Dans une période aussi tourmentée, les progrès politiques de l'UE sont significatifs. Le plan de relance est indispensable pour que les pays membres retrouvent la croissance en 2021. Sans lui, il n'y aurait guère d'espoir de résorber le chômage. Sans la Hongrie et la Pologne, il aurait d'ailleurs été viable. Les deux pays réticents et intransigeants se seraient engagés vers la sortie de l'intégration européenne alors qu'ils en sont moins les contributeurs que les bénéficiaires. Il n'existe en fait aucune différence entre le populisme intérieur de l'Union et le populisme britannique dont le seul argument est la souveraineté de la Grande-Bretagne dans un monde où, plus que jamais, l'union fait la force.
Pour ce qui concerne le Royaume-Uni, aucun accord a été trouvé à la date fatidique du 13 décembre, date-butoir de la négociation hallucinante que Londres a conduite avec Bruxelles. Un « no deal » serait bien sûr une catastrophe, mais les Anglais disposent encore de quelques jours, jusqu'au 31 décembre, pour changer d'avis. Ils paieront le prix le plus lourd de leur entêtement absurde, ce qui ne veut pas dire que les Européens ne seront pas atteints par l'application des règles du commerce mondial aux échanges entre l'Union et le Royaule-Uni, avec le chaos inéluctable des files de camions à l'entrée des ports anglais, le retard des livraisons, le coup porté au chiffre d'affaires des entreprises.
Fermeté des 27
Mais de ce recul historique est né un remarquable renforcement de l'Union européenne. Il n'a pas empêché l'adoption du plan de relance, aucun des 27 n'a été tenté d'imiter l'exemple de la Grance-Bretagne, et, d'une façon générale, c'est dans l'épreuve que l'UE renforce son unité, pas quand tout va bien et que circule l'idée fallacieuse, mais chère à Boris Johnson, que l'on peut avoir le beurre et l'argent du beurre.
La résistance des Européens vient de leur vigoureux leadership, dont Emmanuel Macron et Angela Merkel sont les représentants les plus efficaces, combinant leurs méthodes, offensive et douce, mais parfaitement synchrones sur la nature des objectifs. Depuis 1959, aucune menace contre l'unité européenne n'a été plus sérieuse que la pandémie, si tenace qu'elle a plongé l'Allemagne aussi dans la perplexité. Oui, l'Allemagne, puissance européenne qui avait le mieux traité la crise, se retrouve avec une deuxième vague qui ne l'autorise pas à obtenir de ses mesures de prévention le résultat escompté. Cela relativise la pandémie en France. Elle a permis aux partis d'opposition de dénoncer la gestion du Covid par le gouvernement sans qu'ils eussent à prouver qu'ils auraient mieux fait s'ils étaient au pouvoir. Mieux que l'Allemagne ? Comme d'habitude, les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Nous sommes là dans les deux cas de figure que sont les États-Unis et le Royaume-Uni : d'abord, il ne s'agissait que d'une crise contre laquelle il ne fallait pas lutter et attendre seulement l'immunité collective. Après tant de morts et de blessés, les deux pays crient victoire. Ils se sont précipités pour distribuer le vaccin à des populations qui n'en peuvent mais. Et vous voulez comparer la responsabilité de Donald Trump à celle d'Emmanuel Macron ?