Entre les organisateurs et les autorités, l’appréciation d’un même mouvement varie souvent sensiblement. Et le mouvement tarifaire lancé par MG France, fin mars, ne déroge pas à la règle. Fin avril, Nicolas Revel évoquait quelques centaines de médecins pratiquant le C à 25 euros. Pas de quoi affoler le directeur de l’Assurance Maladie qui assurait, toutefois, que son institution ne laisserait pas l’initiative de ces « 600 généralistes » sans réponse. Ces estimations n’ont pas manqué de surprendre MG France, Claude Leicher évoquant plutôt « plusieurs milliers de médecins ». Il en veut pour preuve le faible nombre d’entre eux rappelés à l’ordre, assurant que « seul un praticien sur trois ou quatre a reçu une lettre de l’Assurance Maladie ».
Entre « échantillonnage » et manœuvre communicationnelle de la part de la Cnam, le chef de file de MG France reste confiant sur le suivi de la consigne. Du côté de l’Unof, il est trop tôt pour donner des chiffres, le mot d’ordre de l’organisation –un seul motif de consultation, sinon DE – n’étant entré en vigueur que le 15 mai dernier.
Affiches dans les salles d’attente
Mais Luc Duquesnel est serein, « les gens entrent dans le mouvement ». Il en veut pour preuve les multiples demandes d’affiches adressées par des généralistes pour informer leurs patients dans leurs salles d’attente. « À partir du moment où les patients seront informés, ils paieront des dépassements s’ils ont plus d’un motif de consultation », ajoute-t-il. Non sans préciser que « le but n’est pas de pratiquer des dépassements mais de réduire les temps de consultation ».
Chez les pratiquants du C à 25 euros, les lettres de l’Assurance Maladie n’ont pas tardé à arriver. « Plusieurs dizaines de médecins ont demandé conseil à MG France » pour savoir comment réagir, souligne Claude Leicher. « Pour l’instant, il ne s’agit que d’une lettre d’information ? », explique-t-il, se voulant rassurant. Installée dans le XIe arrondissement de Paris, le Dr Émilie Chemla a commencé à appliquer le C à 25 euros début mars. « J’ai prévenu dès janvier mes patients que j’allais augmenter le prix de la consultation », précise-t-elle. Entre les délais de paiement du tiers payant, les impayés et le coût de son cabinet parisien, cette généraliste observe constamment un découvert de plusieurs centaines d’euros dans sa trésorerie. Un élément déclencheur qui l’a incitée à majorer ? ses consultations de 2 euros pour le combler. « Je ne comprends pas pourquoi aucun syndicat n’a demandé une majoration pour vie chère, s’interroge-t-elle, le prix de la vie dans la capitale n’est pas le même qu’en province. »
De retour de vacances, fin avril, elle a découvert une lettre de la Cnam. « C’était un courrier d’information qui disait, en substance, que si je continue, j’aurai des petits soucis », rapporte-elle. Pendant un temps, elle a poursuivi son action. Alertée sur d’éventuelles conséquences de cette revalorisation sauvage, elle cote à 25 euros uniquement les consultations effectuées après 19 heures. Une rétractation à contrecœur, d’autant plus que nombre de ses confrères parisiens sont passés à 25 euros depuis un certain temps sans être inquiétés par la Caisse. « Si l’Assurance Maladie me demande des explications, je demanderai pourquoi il y a deux poids deux mesures », souligne Émilie Chemla.
À Réalville, dans la région de Montauban, le Dr Patrick Thibaut facture, lui aussi, ses consultations 25 euros. « On est spécialiste en médecine générale mais ça ne se traduit pas dans nos horaires », rappelle-t-il à regret. Et même si, à ses yeux, « 25 euros, c’est un droit », il reconnaît que « c’est un peu symbolique, on compte là-dessus pour valoriser la pratique et la rendre plus attractive pour les jeunes ». Car s’il juge la rémunération des généralistes conséquente, il pense aux nouvelles générations de médecins qui « sont en droit d’attendre davantage que 23 euros ». Et, à son avis, « là où les jeunes ne vont pas est le signe d’une profession sinistrée »… Alors qu’un courrier de l’Assurance Maladie l’appelle à « modifier sa pratique tarifaire actuelle », il assure n’effectuer cette majoration qu’à ceux de ses patients dont la mutuelle les rembourse. Soit 6 ou 7 patients quotidiennement.
À raison de 3 à 4 consultations en tiers payant par semaine, le Dr Jean-Pascal Ramon applique lui aussi une majoration de 2 euros. En retour, il essuie des refus de paiement de sa Caisse, le code MPC n’étant pas accepté pour les généralistes. Et c’est bien là le souci pour ce membre de MG France, la différence de traitement entre généralistes et spécialistes. Sa première revendication concerne « l’équité tarifaire ». « La médecine générale est une spécialité à part entière, il n’y a pas de raison que la cotation lui soit refusée », ajoute ce praticien de Castres qui estime qu’outre cette « remise à niveau, il faut revoir la rémunération des généralistes ». Un point sur lequel s’accorde le Dr Nicolas Sainmont pour qui « la symbolique du C à 23 euros est insupportable avec des consultations de plus en plus lourdes ». Engagé dans l’action de l’Unof, ce généraliste de Trouville est pour l’instant dans « une phase pédagogique avec les patients ? ; je leur explique qu’une consultation pour un certificat sportif, par exemple, est une vraie consultation ». Une manière, pour lui, d’engager « une réflexion sur le contenu de l’acte » qu’il espère voir également menée par les pouvoirs publics.
« Je viens de recevoir un coup de fil affolé de ma Caisse qui s’inquiète de voir une feuille de remboursement facturée 25 000 euros », s’amuse encore son auteur, le Dr Arnault Gruber. Même s’il reconnaît que le patient en question « avait plusieurs motifs de consultations, il ne méritait un dépassement que de deux ou trois euros ». Installé en Haute-Garonne, à Colomiers, ce généraliste utilise le DE depuis mi-mars et modifie le montant de ses consultations dès lors que « les motifs de consultations révèlent des exigences particulières ». Bien qu’il ne le fasse pas systématiquement, il a déjà reçu un rappel de l’Assurance-maladie. Un courrier qui ne perturbe pas celui qui a participé aux précédents mouvements, pour le C à 100 francs, puis le C à 20 et 23 euros.
Cette fois-ci, Arnault Gruber s’engage pour les jeunes. « On ne trouve plus de médecins qui veulent s’installer, personne ne veut prendre la relève », déplore-t-il. À ses yeux, exiger une revalorisation n’est pas illégitime car, comme le lui faisait remarquer une de ses patientes, signe de la bonne foi des médecins, les généralistes n’ont été augmentés que de 3 euros en 9 ans. Rien depuis 2 011. Et la ROSP ? Hors de question, pour lui, d’y voir une quelconque augmentation. Comparant cette rémunération aux primes d’objectifs accordées aux salariés, il souligne que celles-ci n’empêchent pas des augmentations de salaire. De la même façon, la ROSP ne justifie pas l’absence de revalorisation du C.
L’exaspération s’enracine
Égalité de traitement, valorisation de la profession, augmentation des honoraires, les raisons de faire passer le C à 25 euros (voire plus) sont multiples. Toutes traduisent un profond mal-être de la profession. Latente depuis plusieurs mois déjà – MG France appelait dès la fin de l’année dernière les généralistes à recourir à la MPC, majoration reconnue à 45 spécialités médicales –, l’exaspération des professionnels sur le terrain semble s’enraciner. Qualifiant de « principe » cette « opération de 2 euros », Claude Leicher insiste, « ce n’est pas ce qui va sauver la médecine générale ». « Aujourd’hui, les généralistes n’y arrivent plus », déplore-il. Il espère que les DE, C à 25 euros et autres mouvements permettront d’« alerter les tutelles ».
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