Face à la montée de l’antibiorésistance, les autorités vont-elles serrer la vis sur les ordonnances d’antibiotiques ? Dans son rapport remis la semaine dernière à Marisol Touraine, le groupe de travail piloté par le Dr Jean Carlet (infectiologue, rapporteur du groupe de travail spécial pour la préservation des antibiotiques) propose en tout cas plusieurs mesures visant à renforcer le bon usage des antibiotiques, notamment en médecine de ville (voir entretien). Avec un objectif clair : faire diminuer les consommations de 25 % d’ici à fin2016.
L’enjeu est de taille puisque la France compte toujours parmi les pays européens les plus « friands » d’antibiotiques, avec une surconsommation de l’ordre de 30 % par rapport à la moyenne européenne. Surtout, après une relative embellie au cours des années 2000, « la consommation globale d'antibiotiques est repartie à hausse depuis 2010 » souligne le rapport. Dans le même temps, les phénomènes d’antibiorésistance s’installent, et aujourd’hui 10 % des Escherichia coli et plus de 30 % des Klebsiella pneumoniae sont résistants aux C3G. En corollaire, « la résistance des bactéries aux antibiotiques a déjà un impact considérable en santé publique ».
Selon l’étude Burden-BMR qui chiffre pour la première fois en France le poids de l’antibiorésistance, plus de 150 000 patients développent chaque année une infection liée à une BMR et près de 13 000 en meurent. Dans ce contexte, le groupe de travail fait plusieurs propositions concrètes pour réguler les prescriptions.
Des prescriptions initiales de 7 jours maximum
L’accent est mis notamment sur les durées des antibiothérapies. Il a été montré que la réduction de ces durées, au minimum documenté par la littérature, limite l’émergence d’antibiorésistances sans impact négatif sur le pronostic des infections tout en diminuant les consommations d’antibiotiques.
Le rapport préconise donc de restreindre à 7 jours maximum la prescription initiale d’antibiotiques en médecine de ville. « La majorité des infections rencontrées en médecine ambulatoire ne nécessitent pas plus d’une semaine d’antibiothérapie. De plus, dans les cas où une pathologie justifie un traitement de plus de 7 jours, comme par exemple les infections urinaires parenchymateuses, il est le plus souvent indiqué de réévaluer le patient », argumentent les auteurs. En pratique, si une antibiothérapie de plus de 7 jours était nécessaire, la réévaluation du patient deviendrait systématique et donnerait lieu à la rédaction d’une nouvelle ordonnance indispensable à la délivrance du traitement. Pour accompagner le mouvement, la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) prévoit de mettre à la disposition des professionnels de santé des recommandations sur le raccourcissement des durées de traitement dès cet automne.
Une liste noire d’antibiotiques « critiques »
D’autres pistes comme le projet d’antibiogramme ciblé, déjà en cours d’évaluation à la DGS, sont évoquées. L’idée : ne faire apparaître sur l’antibiogramme rendu au médecin clinicien, que les résultats concernant les antibiothérapies les plus adaptées et les moins pourvoyeuses de résistances bactériennes. De son côté, l’ANSM travaille à l’élaboration d’une liste d’antibiotiques « critiques » dont la prescription serait soumise à l’avis préalable d’un référant antibiotique. Outre les classiques molécules de dernier recours, déjà sur liste noire, cette nouvelle liste pourrait inclure des « antibiotiques particulièrement générateurs de résistances ».
Muscler la ROSP
De façon plus classique, le rapport propose également de « valoriser le bon usage des antibiotiques en médecine de ville », via la ROSP. Actuellement, seulement deux indicateurs concernent les antibiotiques, l’un portant sur les génériques l’autre sur la proportion globale d’antibiotiques prescrits chez les 16-65 ans, hors ALD. D’autres items pourraient être introduits « comme, par exemple, un indicateur spécifique sur les prescriptions d’amoxicilline-acide clavulanique, de fluoroquinolones et de C3G ou la variation saisonnière des prescriptions antibiotiques globales ».
La carotte… et le bâton ?
Au-delà de l’incitation, se profile aussi un renforcement du contrôle des prescriptions. « La CNAMTS doit disposer des ressources nécessaires pour contrôler l’ensemble des profils de prescriptions antibiotiques afin de pouvoir cibler les “gros” prescripteurs dont le niveau de prescriptions, rapporté au type de patientèle, excède significativement la moyenne nationale », indique le rapport. En cas de « sur-prescription flagrante malgré une mise en garde des DAM », les praticiens concernés se verraient contraints de suivre une formation obligatoire avec une évaluation régulière des pratiques. « La poursuite d’un comportement déviant et dangereux pourrait conduire jusqu’à une action en contentieux. »
En miroir, le rapport cible aussi les patients, avec plusieurs propositions pour accroître la sensibilisation du grand public à l’antibiorésistance. Bien conscient que « la lutte contre la résistance bactérienne ne peut plus se limiter uniquement à l’indispensable évolution vertueuse des prescriptions des professionnels de santé », le groupe de travail étend aussi sa réflexion à d’autres professionnels concernés comme les vétérinaires. Enfin, les experts mettent l’accent sur la recherche et défendent la reconnaissance d'un statut à part pour les antibiotiques afin d'encourager les entreprises à s’investir dans ce domaine.
Reste à savoir comment le gouvernement transformera l’essai et lesquelles de ces mesures seront finalement appliquées. Lors de la remise du rapport, Marisol Touraine s’est montrée bien décidée à donner un « ?nouvel élan » à la lutte contre l'antibiorésistance et au plan d'alerte sur les antibiotiques 2011-2016. Mais pour le moment la feuille de route présentée par la ministre de la Santé reste très générale (voir encadré).
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