Vous annonciez il y a une semaine le risque de voir émerger un mouvement dur de la médecine libérale. Ce jeudi, vous avez invité les médecins libéraux à ne plus réaliser d'actes gratuits. Qu'est-ce qui a déclenché cette décision ?
Dr Jean-Paul Ortiz : Le PLFSS ! Nous avons décortiqué soigneusement ce budget de la Sécurité sociale et le jugeons inacceptable. Il prévoit 300 millions d'euros pour les revalorisations des soins de ville en 2021 alors que 28 milliards d'euros ont été alloués à l'hôpital pendant le Ségur de la Santé. On nous avait assuré que nous disposerions de marge de manœuvre dans le cadre de l'avenant conventionnel sur lequel nous négocions. Sans compter que l'on nous a confirmé que la future convention médicale ne serait négociée qu'à l'issue de l'élection présidentielle, ce qui renvoie toute hypothétique revalorisation à octobre 2023 ! Il n'est pas acceptable que nos tarifs soient bloqués jusque-là, ce n'est pas possible.
Quel serait le budget idoine pour accompagner les médecins libéraux en 2021 ?
Dr J.-P. O. : Nous réclamons un avenant avec un budget significatif. Nous l'avons déjà dit, nous demandons deux milliards d'euros pour les soins de ville dont un milliard pour les médecins. Il faut que les revalorisations puissent s'appliquer tout de suite et non dans 6 mois. Nous n'attendrons pas la négociation d'une nouvelle convention applicable à l'automne 2023. C'est impossible. Nous exigeons un calendrier hyper resserré pour qu'immédiatement après les élections professionnelles (début avril 2021, NDLR), soit lancée la négociation conventionnelle pour avoir dans les 4 à 6 mois une nouvelle convention. Ce doit être bouclé avant la fin 2021. Nous n'attendrons pas l'élection présidentielle.
Olivier Véran a écarté la hausse du C, lui privilégiant celle de la visite à domicile. Acceptez-vous cette priorité de revalorisation ?
Dr J.-P. O : De toute évidence, nous ne pourrons pas attendre octobre 2023 pour faire bouger la valeur des actes. Il est nécessaire de revaloriser la visite à domicile (35 euros avec la majoration de déplacement) mais il faut aussi revaloriser la consultation de tous les médecins, quelle que soit leur spécialité. Nous souhaitons sortir du système de nomenclature actuel qui prévoit un nombre incalculable de lettres complémentaires que personne n'utilise. C'est la raison pour laquelle nous proposons une nomenclature à 4 niveaux. Les généralistes ont des consultations lourdes avec des patients âgés, polypathologiques. Ils y passent du temps et ces consultations de 30 à 45 minutes méritent beaucoup plus que 25 euros. Il faut revaloriser ces actes de façon significative. 25 euros la consultation après 9 ou 10 ans d'études, tout de même...
Quel signal voulez-vous envoyer en invitant la profession à ne plus faire d'actes gratuits ? Ne redoutez-vous pas, même si vous pratiquez le tiers payant, que ce mot d'ordre offusque les patients ?
Dr J.-P. O : Non, je ne le pense pas. Aujourd'hui, les médecins réalisent plein d'actes qu'ils ne facturent pas, en délivrant une ordonnance rapidement, lorsqu'ils ne font payer qu'un acte lorsqu'un parent vient avec trois enfants dont l'un est malade et les autres n'ont pas grand-chose, quand ils font rapidement un certificat... Tous ces petits actes, que souvent on ne fait pas régler, il faut maintenant les facturer. En pratiquant le tiers payant, pour ne pas pénaliser les patients. Puisque la caisse considère que l'acte de consultation doit rester à 25 euros, il n'y a aucune raison que l'on ne facture pas tous les actes, y compris les petits que l'on avait perdu l'habitude de faire payer. Mais il ne s'agit en aucun cas de frauder, attention ! Nous expliquerons aux patients, par une campagne d'affichage dans les cabinets, comment le gouvernement considère les médecins et les récompense de leur engagement contre le Covid-19.
Les médecins ont perdu ces dernières années leur capacité à s'indigner. C'est en quelque sorte un appel à se mobiliser pour obtenir plus de considération que vous leur lancez ?
Dr J.-P. O : Oui, absolument. Les médecins libéraux ont été très engagés pendant la crise du coronavirus. Ils sont montés au front, ils se sont décarcassés, ont participé à des centres Covid sans se poser de questions... Ce qui m'importe, c'est que les confrères prennent conscience de cette situation. Je leur dis clairement : « Réveillez-vous, soyez fiers de votre métier et défendez-le ! » On ne peut pas tolérer ce mépris de la part du gouvernement. Dites-le, exprimez-vous. Je suis sûr que sur le terrain, les médecins vont inventer d'autres modes de mobilisation et que progressivement, ce mouvement va monter en charge.
Le déficit de la Sécurité sociale n'a jamais été aussi abyssal. Comment porter des revendications tarifaires dans ce contexte ? Quelles sont les marges de manœuvre ?
Dr J.-P. O : Le gouvernement n'a-t-il pas été capable de trouver des moyens pour revaloriser l'hôpital ? Pourquoi les uns seraient-ils légitimes à des revalorisations et les autres non ? Le Covid a fait perdre tout repère sur les comptes de la nation. Tous les Français ont cependant encore en tête les mots du président de la République : "quoi qu'il en coûte".
Il faut donc aussi un plan de relance de la médecine libérale ?
Dr J.-P. O : Il faut en tout cas un plan pour soutenir la médecine libérale, ou les patients vont avoir de plus en plus de mal à trouver un médecin généraliste. Ils s'en plaignent déjà ! L'image que renvoie le gouvernement avec ses décisions et le peu de moyens qu'il nous alloue dans le PLFSS est catastrophique.
La médecine libérale n'est pas la priorité du gouvernement –le mot "généraliste" n'est pas cité une seule fois dans les 100 pages du PLFSS 2021–. Êtes-vous déçu par le président Macron qui se présentait comme le candidat des professions libérales ?
Dr J.-P. O : Oui, bien sûr. On n'arrête pas de nous dire qu'il faut revoir ce système de santé centré sur l'hôpital, développer la coordination ville-hôpital et s'appuyer sur la médecine de premier recours pour éviter l'envoi de patients dans les établissements. Et derrière ces grands discours, la politique menée est l'inverse. En ce sens, oui, nous nous sentons trahis.
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