« Je veux dénoncer un système uniquement administratif ». Le Dr Bernard Smaja, 74 ans, ne cache pas sa colère. Le praticien retraité qui a exercé pendant 35 ans en tant qu'anesthésiste-réanimateur au centre médico-chirurgical du Chesnay, puis en tant que généraliste à Versailles (Yvelines), s'est vu refuser cet été sa demande de reprise d'activité par l'Ordre départemental des médecins de l'Eure, une zone pourtant frappée par la désertification médicale. Le motif ? « Pas d'aptitude suffisante à une reprise d'activité de médecin généraliste ».
Être utile
Joint ce mardi par Le Quotidien, le médecin raconte son histoire avec amertume.
Après s'être arrêté pendant cinq ans, il décide avec sa femme de partir vivre en Normandie auprès de sa famille à Courcelles-sur-Seine (Eure). Pendant le Covid, en 2020, le retraité est sollicité pour aider à vacciner la population et épauler ses confrères. « J'ai donc repris une activité pendant presqu'un an à temps plein pour le centre de vaccination et c'est là où je me suis dit que je pouvais encore être utile, surtout dans mon village, où le maire a besoin de médecins pour sa maison médicale » témoigne-t-il.
Souhaitant effectuer quelques gardes par semaine dans ce centre communal, le médecin fait une demande d'autorisation de reprise d'activité auprès de l'Ordre, en bonne et due forme, « car j'ai arrêté d'exercer pendant plus de cinq ans ». « J'ai eu un premier refus mais j'ai refait une deuxième demande », confie-t-il.
Piégé sur les antibiotiques
Cette fois, l'Ordre départemental le convoque pour un entretien d'évaluation professionnel en mai 2023… En présence de deux consœurs – conseillères ordinales – le Dr Smaja est interrogé pendant près de deux heures sur sa prise en charge de pathologies courantes en médecine générale telles que l'angine, la bronchite, la cystite chez les jeunes femmes et la bronchiolite du nourrisson. Un entretien perçu comme intrusif et peu bienveillant. « Je ne m'attendais pas à ce type d'interrogatoire à charge où elles ont essayé de me piéger sur les antibiotiques », raconte-t-il.
Au cours de cet échange, les déléguées ordinales lui soumettent notamment une liste de 13 médicaments pour mettre à l'épreuve ses connaissances. « J’ignorais le nom de cinq d’entre eux car ce sont des génériques que je ne connaissais pas. Pendant mon arrêt, il n'y a aucune molécule qui a modifié la pratique de la médecine générale », poursuit-il. Le Dr Smaja se souvient de certains propos ordinaux peu amènes à son endroit. « L'une des conseillères m'a dit que "ce n'est pas en raison de la pénurie de médecins qu'on va accepter des médecins Alzheimer", relate-t-il. Passer pour un médecin d'un certain âge, certes, mais incompétent, le raccourci est un peu court ».
Inaptitude
À l’issue de cet échange peu agréable, le médecin reste toutefois confiant sur sa reprise d'activité. « L’une des deux personnes m'a dit que je pourrais effectuer mon stage. Ce que j'ai accepté et j'ai prévenu la mairie ». Las, un mois après, le Dr Smaja hérite d'un courrier du conseil départemental, en forme de douche froide. « On m’indique que je ne présente pas l’aptitude suffisante à la reprise d’une activité de médecin généraliste ».
Le retraité réclame des explications mais la réponse lui parvient en juillet. Le courrier de l'Ordre, que Le Quotidien a pu consulter, fait valoir que le médecin « n'a pas réalisé de formation continue depuis neuf ans », en dehors de la lecture d'articles médicaux sur le net. Mais surtout, plusieurs cas cliniques sont évoqués – angine, bronchite, cystite, etc. – avec, à chaque fois, des critiques directes sur les réponses du médecin (« Vous ne connaissez pas le site antibioclic », « Vous ne connaissez pas les tests de dépistage rapide (...) », « les antibiotiques ne sont pas indiquées dans la bronchite (...) »). Dans cette lettre , le président du conseil départemental déclare fournir des « explications » en espérant qu’elles ne sonnent pas comme « des reproches ». « Non, la médecine générale actuelle n'est pas de la gestion de la bobologie et nécessite des connaissances à jour », peut-on lire.
« Je sais examiner, palper »
Sur la cystite de la femme jeune sans antécédents, même recadrage ordinal. « Dans cette situation, d'une part l'ECBU est inutile et d'autre part la Noroxine et les autres quinolones ne sont plus recommandées du fait de leur fort pouvoir de sélection », écrit l'Ordre.
Le Dr Smaja défend sa pratique clinique et son expérience. « J'ai fait six ans de réanimation, je ne vais pas mettre en péril un patient. Je sais l'examiner, poser la main, palper et sentir un ventre dur, douloureux avec défense, cela ne s’apprend pas sur une fiche ! » Refroidi par cette histoire, le médecin retraité qui voulait « juste aider la commune et la population en manque de médecins », n'a plus intention d'aller plus loin.
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