Comme l’explique en préambule de sa thèse, la Dr Alice Girardi, le choix du pronom « Tu » (qui évoque l’intime mais aussi une relation asymétrique) ou « Vous » (qui renvoie à la distance, à l’autorité) dépend d’une combinaison de plusieurs variables sociales comme l’âge, les différences de sexe, la formalité de l’interaction et la distance sociale ou le degré de familiarité entre les interlocuteurs. Cette question du passage d’un tutoiement à un vouvoiement du patient se pose pour les médecins généralistes qui suivent des enfants au moment de leur passage à l’âge adulte. C’est généralement lorsque les jeunes connus depuis de longues années atteignent l’âge de 18 à 24 ans que la question du changement de pronom se pose.
La Dr Alice Girardi a choisi de mettre en place une étude qualitative descriptive avec approche en miroir dans un échantillon de huit couples médecin-patient du Nord ou du Pas-de-Calais. Les deux membres des paires analysées devaient vivre ou exercer dans cette région depuis au moins trois ans. Les entretiens avec les patients et les médecins (moyenne seize minutes) ont été réalisés entre mai 2023 et juillet 2024.
Cinq des huit patients, âgés de 19 à 23 ans, ont déclaré préférer être tutoyé par leur médecin (« Mais si un vieux croûton me tutoie, je le remettrai à sa place »). Ces deniers interrogés sur le pronom employé à la période de l’entretien ont répondu « Tu » pour quatre d’entre eux et « Vous » pour les autres, seul un praticien a eu des doutes sur ses habitudes. Tous les médecins ont déclaré qu’ils tutoyaient tous les enfants de leur patientèle et certains poursuivaient le tutoiement assez longtemps (« Je ne m’imagine pas vouvoyer un jeune que j’ai toujours tutoyé », affirme l’un des médecins). Néanmoins lorsqu’ils prennent en charge de nouveaux patients grands adolescents ou jeunes adultes le vouvoiement est généralement de rigueur (« À partir de 15-16 ans ou avant s’ils semblent très matures »).
Médecin, pas copain
Interrogés sur la transition entre les deux pronoms, les patients affirment qu’une fois le vouvoiement adopté, ils n’ont pas constaté de retour au tutoiement. Néanmoins, ils sont une petite majorité à constater que le médecin ne leur a pas demandé la permission de choisir l’un ou l’autre pronom. Un médecin a fait part de ses interrogations sur le sujet : « « Vous » à 15 ans c’est tout de suite ringard, mais « Tu » c’est ouvrir la porte à une relation vécue comme un copinage ». Qu’est ce qui influe sur le pronom utilisé pour les jeunes adultes, s’est interrogée la Dr Alice Girardi ? Pas le genre ni le pays d’origine, mais certainement le « feeling », l’entente avec le patient, la relation de confiance, la durée de la relation et les études ou le métier du patient (en particulier dans le domaine de la santé). La présence des parents à la consultation est aussi mise en avant comme un élément d’« infantilisation » des 18-24 ans.
Enfin, jeunes et médecins s’accordent sur le fait que le « Vous » doit être de rigueur pour les consultations d’ordre psychologique, les consultations de l’ordre de l’intime, même si, de fait, certains considèrent que le « médecin de famille » fait effectivement partie de la « famille ». À noter, un seul jeune tutoie son médecin dans l’échantillon analysé. Le tutoiement est donc généralement unilatéral et il renvoie certains à la relation paternaliste qui était de mise jusque dans les années 1980, au moins.
Le patient a surtout besoin de se sentir écouté, en confiance, et reconnu comme adulte de la part du médecin
L’analyse du verbatim par la Dr Alice Girardi lui permet d’avancer que le pronom ne détermine pas la qualité de la relation médecin-patient. La notion de respect est la plus importante. Le vouvoiement implique la distance et la notion de barrière mais ne semble pas gêner dans la fluidité des échanges. Le tutoiement quant à lui, évoque la proximité et la confiance mais aussi une intimité qui ne devrait pas exister dans la relation médecin-patient. Le patient, jeune adulte, a surtout besoin de se sentir écouté, en confiance, et reconnu comme adulte de la part du médecin ; c’est pourquoi le tutoiement n’est pas adapté à tous les patients. Pour le médecin, il est surtout important que son patient soit à l’aise et puisse se livrer sans barrière pour une meilleure prise en charge. Toutes ces notions avaient déjà été mises en évidence dans deux thèses de médecine générale réalisées en milieu urbain en 2016 (2) et en milieu rural en 2019 (3).
(1) Girardi A. Tutoiement ou vouvoiement en médecine générale : une étude qualitative sur les représentations et attentes des jeunes adultes du Nord et du Pas-de-Calais avec approche en miroir. Thèse 2024 Lille.
(2) Lainé AL. Les déterminants de l’usage ou tutoiement et du vouvoiement dans la relation médecin-patient en médecine générale : étude qualitative. Thèse 2016. Montpellier
(3) Berger G. L’impact de l’usage du tutoiement sur la relation de soin en médecine générale, le point de vue du médecin généraliste dans les Hautes Alpes. Thèse 2019 Aix Marseille
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