LE QUOTIDIEN : Pourquoi vous intéressez-vous aux déserts médicaux, alors que la santé ne relève pas strictement de la compétence des Régions ?
CAROLE DELGA : Pour apporter des solutions aux gens. Depuis plusieurs années, sur le terrain, ils me faisaient de plus en plus part de leurs difficultés à avoir accès à un médecin traitant ainsi que de l'allongement des délais pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, surtout depuis le confinement. En réalité, il y a eu une accélération du mouvement des déserts médicaux depuis une bonne dizaine d'années. En 2012, 8 % de la population vivaient déjà dans un désert médical. En 2022, on est passé, à critères constants, à 30 %. Constatant qu'il y avait de moins en moins de médecins dans les territoires ruraux mais aussi dans certains quartiers de grandes villes, j'ai décidé de réfléchir avec mes équipes à comment faire en sorte que notre région soit attractive pour l'installation des médecins.
Comment avez-vous travaillé ?
J'ai la chance d'avoir beaucoup de relais dans le monde médical et en discutant avec des médecins, j'ai pu analyser que pour attirer des praticiens en Occitanie - au-delà de la qualité de vie dans notre région ! -, il fallait leur proposer un exercice en mode collectif. Se sentir moins seul est une attente autant des jeunes que d'une partie des praticiens en milieu et fin de carrière. De plus, j'ai également entendu que le salariat pouvait correspondre à des aspirations.
Pourquoi avoir fait de ce sujet une priorité de votre second mandat ?
Parce que la santé est prioritaire pour chacun d'entre nous. Pour être en bonne santé, il faut être suivi par un médecin généraliste en qui on a confiance et à qui on peut parler librement. J'ai discuté avec mon collègue François Bonneau, président socialiste de la région Centre-Val de Loire qui venait de lancer une expérimentation de recrutement de médecins salariés. Je m'en suis inspirée en l'adaptant aux spécificités de l'Occitanie et à ma vision des choses. Sitôt réélue en juillet 2021, j'ai très rapidement mis le projet en route.
En quoi consiste « Ma santé, ma région » ?
Nous avons créé un groupement d'intérêt public (GIP) qui est un outil juridique souple permettant d'associer beaucoup de parties prenantes. Il y a aujourd'hui 31 membres dont des communes et des communautés de communes, mais aussi les deux facultés de médecine de Toulouse et de Montpellier, les associations d'internes et l'Ordre régional des médecins. Cela nous permet d'avoir une assemblée générale où se rencontrent les différentes aspirations et où l'on peut trouver facilement les moyens de s'adapter aux besoins des territoires.
Comment sont choisies les implantations ?
Nous faisons un appel à manifestation d'intérêts auquel répondent les communes et les communautés de communes. Le GIP analyse la pertinence de leur demande ainsi que la maturité du projet immobilier et surtout médical. Nous regardons notamment s'il y a une bonne dynamique collective autour du projet avec des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou des services d'aides à domicile. Nous essayons de faire en sorte que ce soient des projets collectifs de territoire avec une mobilisation de tous les acteurs autour de la personne malade, âgée ou handicapée.
Quels types de contrats proposez-vous ensuite aux médecins intéressés ?
Nous signons des CDD ou des CDI, au choix du professionnel, Le contrat prévoit 35 heures par semaine, mais le temps partiel est également possible. La rémunération est calquée sur la grille hospitalière, soit entre 4 300 et 6 400 euros nets par mois, selon l'expérience. Tous les frais sont pris en charge : entretien des locaux, matériel médical et informatique, secrétariat et frais kilométriques. Nous assurons aussi toutes les démarches administratives telles que la gestion des plannings ou la comptabilité. Le médecin peut ainsi se consacrer uniquement au soin du patient. Dans certains bâtiments, il y a également des médecins libéraux qui peuvent exercer. Dans ce cas, ils payent un loyer à la structure.
Quelles sont les obligations des médecins en contrepartie ?
Outre les consultations dans les centres, je tiens absolument à ce qu'ils fassent aussi des visites à domicile. Je suis persuadée que pour bien soigner une personne, il faut parfois aller chez elle pour comprendre la globalité de ses conditions de vie, économiques et affectives. Les médecins doivent également accepter d'être maîtres de stage et de participer à la permanence des soins.
Combien de centres sont en fonction ?
Nous avons ouvert le tout premier centre en juillet 2022, un an tout juste après le lancement du projet, à Sainte-Croix-Volvestre en Ariège, un territoire très rural. Le 1er avril nous allons inaugurer notre dixième structure à Saint-Gilles dans le Gard, au bord de la Méditerranée. Nous avons signé 46 contrats de travail : 29 médecins généralistes (15 femmes et 14 hommes), ainsi que 13 secrétaires médicales et une sage-femme. L'objectif, c'est 200 professionnels de santé recrutés d'ici 2027.
Quel est le profil-type de ces médecins ?
Ce sont des généralistes de toutes les tranches d'âges : des jeunes diplômés aux quinquagénaires en exercice depuis 25 ans qui en avaient assez de travailler seul. Il y a également une dizaine de médecins libéraux qui partagent les locaux.
N'y a-t-il pas justement un risque de concurrence entre ces centres et les médecins libéraux installés dans et autour de ces communes ?
Ce sont des craintes qui pouvaient transparaître au début mais qui sont en train de se dissiper. Avec mon vice-président à la santé, le Dr Vincent Bounes qui est chef du Samu de Haute-Garonne, nous faisons tout pour faire tomber cet écueil car le privé et le public sont complémentaires. Je crois que nous avons su montrer que nos discours sont conformes à nos actes.
Les centres sont-ils économiquement viables ?
En huit mois, nos centres ont déjà pris en charge plus de 25 000 patients qui sont très satisfaits ! S'agissant du modèle économique : ce qui n'est pas remboursé par l'Assurance-maladie est pris en charge par les collectivités locales et la Région. Cette dernière fait un effort plus élevé dans les territoires ruraux où les collectivités ont moins de moyens. Je pense aujourd'hui que c'est un dispositif qui peut être généralisé même s'il demeure que ce n'est pas la solution de fond.
Que préconisez-vous justement pour lutter contre les déserts médicaux ?
Je soutiens complètement la proposition de loi transpartisane porté par le député PS Guillaume Garot car je pense qu'il faut aujourd'hui réguler les installations des médecins. Nous avons besoin d'une réforme de fond de notre système de santé qui est en grande souffrance. Six millions de Français sont sans médecin traitant et les généralistes sont complètement débordés travaillant déjà jusqu'à 55 heures par semaine. Nos centres de santé sont une réponse conjoncturelle à la crise mais nous avons aussi besoin d'une réponse structurelle et d'une autre politique nationale sur les questions de santé.
Faut-il donner davantage de compétence aux Régions ?
Quand il a fallu acheter des millions de masques pour protéger nos concitoyens, l'État était bien content que les régions s'occupent de santé ! En Occitanie, nous agissons également sur l'investissement hospitalier : dans le cadre du contrat de plan Etat-Région que j'avais négocié avec le Premier ministre, Jean Castex, nous mobilisons 100 millions d'euros fléchés vers les hôpitaux locaux et les hébergements des étudiants en santé. Je souhaiterais aller plus loin. Comme d'autres présidents de Régions, je voudrais que nous puissions gérer directement le bâti hospitalier, au moins pour les hôpitaux de proximité, à l'instar de ce que nous faisons déjà pour les lycées. Cela permettrait de réduire considérablement les délais de réalisation des travaux.
Au niveau national, quelles autres réformes préconiseriez-vous ?
Je souhaite qu'on mette fin à la tarification à l'activité (T2A) majoritaire. L'activité est un critère à prendre en compte mais il ne doit pas être dominant car il ne permet pas de prendre suffisamment en compte la prévention. J’en parle souvent avec le Pr Bruno Vellas de Toulouse ou le Pr Christian Jorgensen de Montpellier. L'hôpital peut également être un lieu de prévention et d'éducation à la santé.
S'agissant de la médecine libérale, il me semble nécessaire de libérer du temps médical en favorisant l'exercice coordonné. C'est pour cela que je suis également favorable au développement des infirmières en pratique avancée. Je pense aussi qu'il faut limiter la durée des remplacements et je soutiens également le plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires à l'hôpital.
Enfin, je crois qu'il faut démocratiser l'accès aux études de santé. Le lycée de Saint-Céré dans le Lot a mis en place une « prépa » aux études de médecine. Nous voulons l'étendre dans les Académies de Toulouse et de Montpellier car je crois que c'est une très bonne manière de lever l'autocensure qui existe dans beaucoup de milieux modestes.
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