L’épidémie de Covid-19 a donné un coup d’accélérateur au déploiement de la télémédecine en France, adoptée par un grand nombre de médecins. Le Dr Sylvaine Le Liboux y a elle aussi eu recours durant la crise sanitaire. Pourtant, la généraliste s’oppose fermement à l’installation d’une borne de téléconsultation dans sa commune de Valençay, dans l’Indre, où le manque de médecins se fait sentir. Avec son franc-parler, la médecin, également secrétaire générale de la CSMF-Généralistes, livre sa vision de la télémédecine, telle qu’elle la conçoit dans son exercice quotidien.
« LE QUOTIDIEN » - Vous avez fait grève cette semaine pour contester l’installation d’une borne de téléconsultation dans votre commune. Que reprochez-vous à ce dispositif, présenté comme une solution au manque de médecins dans les zones sous-dotées ?
Dr SYLVAINE LE LIBOUX - Je considère que c’est de la sous-médecine. Une consultation, c'est un interrogatoire et un examen clinique. Si j’étais malade, je n’irais pas dans une borne comme ça ! Au niveau technique, elles sont super bien équipées. Mais le patient est livré à lui-même. Comment peut-il mettre un otoscope lui-même dans son oreille alors qu’il nous faut à nous, médecins, plusieurs années pour examiner correctement un tympan. On nous dit que ces bornes vont nous faire gagner du temps. Je n’en suis pas sûre. Ce qui nous prend du temps, ce sont les patients âgés, pluripathologiques, qu’il faut aller voir à domicile… Et ces malades, ils ne vont pas consulter dans la borne !
N’est-ce pas une solution pour les pathologies bénignes ?
Il n’y a pas de consultation simple en médecine. J’ai déjà donné cet exemple mais il est pertinent. Prenez le cas d’une jeune femme qui a une cystite. Si vous ne l’examinez pas, vous pouvez passer à côté d’une pyélonéphrite. Une angine, ça peut aussi être un phlegmon, un trouble du sommeil, ça peut être un syndrome dépressif grave. On peut passer à côté de plein de pathologies. D’ailleurs, les médecins qui pratiquent ce type de téléconsultation le savent bien et ils se protègent. Ils font un arrêt de travail d’une journée au patient et ils lui disent d’aller voir leur médecin traitant dès le lendemain ou d’appeler le 15 s’il voit que ça ne va pas.
Pourtant, comme beaucoup de médecins, vous avez eu recours à la téléconsultation durant l’épidémie de Covid…
Oui, mais parce que les patients ne pouvaient pas venir… on ne pouvait pas faire autrement ! J’assimile ça à des consultations dégradées. Je le répète, on prend des risques en pratiquant ce type de médecine. Ce n’est pas vers cela qu’il faut aller.
Comment concevez-vous aujourd’hui une « bonne » télémédecine ?
Je suis favorable aux téléconsultations assistées. Dans ce cas de figure, le patient est accompagné d’un professionnel de santé, une infirmière ou un pharmacien par exemple, qui est à côté de lui pour lui prendre la tension, mener un interrogatoire basique, etc. À l’autre bout, il y a le médecin qui dirige la consultation.
C’est la télémédecine que vous avez développée au sein de la CPTS que vous présidez ?
Oui, et nous le faisons dans le cadre d’une coordination entre professionnels de santé, ce qui n’est pas le cas de la solution à laquelle je m’oppose à Valençay. Nous utilisons une application qui permet de dialoguer entre professionnels, d’échanger en direct des documents. Je vous donne un exemple que j’ai vécu récemment. Une infirmière est au domicile d’une patiente. Elle trouve que son ulcère de jambe est inquiétant. Elle m’envoie une photo sur mon téléphone mobile et on peut dialoguer via notre application de communication santé. Elle fait l’interface avec la malade : « Est-ce qu’elle a mal, est-ce qu’elle a de la fièvre… » À la fin, je peux envoyer directement l’ordonnance au pharmacien. Ça m’évite de faire une visite, c’est un vrai gain de temps.
Mon objectif, c’est de développer ça en Ehpad. Les infirmières pourraient passer de chambre en chambre avec une tablette qui fait la liaison avec un médecin qui, dans son cabinet, a accès au dossier du patient. Ça permettrait de régler les petits problèmes : un résident qui ne va pas à la selle, une sonde urinaire bouchée… Là encore, il y a un dialogue de professionnel à professionnel, le patient n’est pas seul face à son écran. C’est dans cette direction qu’il faut aller.
Vous êtes également favorable à la téléexpertise, qui vient d'être revalorisée par l’avenant 9 ?
Oui, c’est la possibilité de mettre en relation à distance un médecin généraliste et un spécialiste. On le fait déjà aujourd’hui, mais les outils disponibles ne sont pas encore aboutis.
Vous ne voyez aucun avenir aux bornes de téléconsultation ?
Je pense qu’on ne les utilise pas comme il faut. Je le répète, elles sont super techniquement et disposent de nombreux dispositifs médicaux. Pourquoi ne pas en installer dans les Ehpad où les infirmières pourraient s’en servir ? Il faudrait que les sociétés qui les développent travaillent davantage avec les médecins et les professionnels de santé pour trouver les bonnes solutions !
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