Les patients pourront-ils bientôt consulter « en première intention » des milliers de paramédicaux, notamment des infirmiers en pratique avancée (IPA), sans passer par le médecin traitant ? Et si oui, avec quelle coordination et quel retour d'information ?
Alors que six millions de patients sont privés de médecin traitant (dont 650 000 en ALD), l'évolution des compétences – et du parcours de soins – est revenue dans l'actualité cette semaine à la faveur de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi (PPL) portée par la députée du Loiret Stéphanie Rist (Renaissance) et soutenue par de nombreux élus de la majorité.
S'il est adopté, son texte – cinq articles – ouvrira la porte de l'accès direct à plusieurs professionnels (IPA mais aussi kinés et orthophonistes), dans le cadre d'un exercice « coordonné » au sein de structures comme les équipes de soins, les maisons de santé, les centres de santé, voire les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Plusieurs syndicats de praticiens libéraux pointent toujours le risque de « médecine à plusieurs vitesses », voire de dérégulation des parcours.
Sous réserve des évolutions parlementaires, les IPA pourraient prendre en charge des patients sans passer par la case médecin et effectuer des primoprescriptions pour des produits de santé et des prestations soumises à prescription médicale (dont la liste sera fixée par décret). Le texte crée et différencie deux types d’IPA – « praticiens » et « spécialisés ». Aux IPA praticiens la prise en charge de pathologies courantes identifiées comme « bénignes en soins primaires » et aux IPA spécialisés la charge des « pathologies complexes ». Compétences et modalités d’accès seront fixées par voie réglementaire.
Concernant les kinés, la PPL entendait limiter cet accès direct à une prescription « à cinq séances dans le cas où le patient n'a pas eu de diagnostic préalable ». Là encore, un bilan initial et un compte rendu des soins réalisés devront être adressés au médecin traitant et reportés dans le DMP.
Quelles garanties ?
Alors que la majorité a poussé pour faire bouger les lignes des délégations de tâches et des périmètres des métiers – un mouvement qui s'est accéléré avec la crise sanitaire –, l'opposition a longuement épinglé un texte jugé « flou » et « peu précis ».
En cas de nouveaux accès directs aux paramédicaux, jusqu'où faut-il encadrer l'exercice coordonné ? Des protocoles d'organisation sont-ils nécessaires ? La simple appartenance à une CPTS – couvrant parfois un très vaste territoire – garantit-elle la coordination entre des soignants qui, souvent, ne se connaissent pas ? Ces questions ont divisé les députés, reflet des tensions qui existent aussi entre les blouses blanches. En commission comme en séance, plusieurs amendements ont cherché à imposer « un cadre protocolisé et validé par un médecin ou une équipe médicale ». Au sein de chaque CPTS, des élus ont réclamé la signature d'un « contrat de coordination » entre le médecin traitant du patient, membre de la CPTS, et les autres intervenants de cette organisation territoriale.
Lobbying
Face à ces crispations, Stéphanie Rist a affiché sa fermeté pour rester fidèle à l'esprit de son texte. « Quand vous ajoutez de la protocolisation, ce n'est plus l'accès direct ! a-t-elle argumenté. Nous considérons que les professionnels formés ont de vraies compétences et donc que la responsabilité leur revient. » La rhumatologue hospitalière a toutefois accepté que l’accès direct aux IPA dans les CPTS soit inscrit dans « un volet dédié du projet de santé ».
Dans cette bataille de lobbying, les Ordres des infirmiers et des kinés, les étudiants en soins infirmiers ainsi que les internes de l'Isni, plus ouverts que leurs aînés, ont soutenu la proposition de loi Rist et la « redistribution des compétences » qu'elle encourage. De son côté, le conseil national professionnel (CNP) des IPA, par la voix de sa présidente Julie Devictor, a tenté de rassurer les médecins. « Une IPA ne pourra jamais travailler seule sur le territoire sans l'intervention du médecin dans le parcours des soins. Il n'y a pas besoin de protocolisation », affirme-t-elle.
Court-circuiter
Il n'empêche. Du côté des représentants des praticiens libéraux, c'est plutôt la douche froide et l'inquiétude. « Le médecin doit rester le chef d’orchestre » du parcours de soins, ont alerté en chœur début janvier l'Ordre des médecins et une douzaine d'organisations de praticiens libéraux et hospitaliers, fait rare pour être souligné. Le médecin est « le seul à avoir une longue formation professionnalisante qui permette le diagnostic médical et la décision thérapeutique », ont-ils recadré. L'accès direct n'est envisageable que dans le cadre « d'un exercice coordonné protocolisé au sein d'équipes, malheureusement il y a des lois qui s'assoient sur ce que nous souhaitons mettre en place », peste le Dr Luc Duquesnel, président de la branche généraliste de la CSMF.
De fait, en pleine négociation conventionnelle, beaucoup estiment que la PPL Rist court-circuite les discussions et l'engagement territorial « populationnel » réclamé par les autorités. « C’est inacceptable pour la pertinence et la qualité des soins », s'agace la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. « C'est le médecin qui doit faire le diagnostic quelle que soit la pathologie », a aussi lancé le Dr François Arnault, président de l'Ordre national des médecins, lors de ses vœux pour 2023.
Confiance aux équipes
Moins critique que les syndicats, le Dr Pascal Gendry, président d'AVECsanté (ex-Fédération des maisons et pôles de santé) souhaite d'abord faire confiance aux équipes coordonnées sur le terrain. « Si un kiné considère que la prise en charge n'est pas de son ressort, il doit pouvoir avoir recours aux médecins de l'équipe pour éviter de perdre de temps », illustre-t-il. Pour le Dr Jean-François Moreul, généraliste et coprésident de la CPTS des vallées de l'Anjou bleu (60 000 habitants), « le danger [de l'accès direct] résidera dans l'absence de coordination réelle entraînant des interactions de prises en charge ».
Nouvellement élu à la tête de la Fédération des CPTS, David Guillet, infirmier libéral, appelle les parlementaires à accorder du crédit aux acteurs des territoires. « Le risque des lois descendantes, observe-t-il, est de refaire ressortir du corporatisme et des jeux de posture qui avaient presque disparu ».
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