« Il n'y a plus de dignité pour les résidents », « on les traite comme des animaux », « nous sommes devenus une chaîne de rendements ».
Dans une salle exiguë de la Bourse du travail à Paris, les personnels soignants des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) expriment leur mal-être, à quelques jours de la grève nationale prévue ce mardi 30 janvier.
Fait rare pour le secteur, sept syndicats de salariés de la santé (CGT, FO, CFDT, SUD, UNSA, CFTC, CFE-CGC), rejoints par l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) seront mobilisés pour protester face au manque de moyens des 7 300 EHPAD publics et privés. La mobilisation s'annonce massive. Des débrayages dans les établissements et des rassemblements sont prévus dans toute la France, notamment devant les agences régionales de santé.
Système tarifaire Kafkaïen
L'intersyndicale réclame l'abrogation des dispositions législatives relatives à la réforme de la tarification des EHPAD, en application depuis 2017. En septembre dernier déjà, le rapport rendu par la députée de Haute-Garonne Monique Iborra (LREM) qualifiait le nouveau système tarifaire de « kafkaïen ».
Autre demande des personnels : l'amélioration des rémunérations des aides-soignantes, payées 1 485 euros brut par mois, et l'application du principe d'un salarié pour un résident. Car le manque de moyens humains impacte directement les conditions de travail des aides-soignants, force vive des EHPAD. « Actuellement, on doit faire 12 à 15 toilettes par matinée, c'est-à-dire lever, laver et habiller les résidents, en dix minutes chacun, si l'on veut tous le faire », témoigne Sandrine, salariée dans un EHPAD privé de Loire-Atlantique. À cause de cette carence en personnels, le taux d'accident du travail est deux fois plus élevé que la moyenne nationale dans le secteur.
Soulignée dans le rapport Iborra, la pénurie touche aussi les médecins coordonnateurs (voir interview ci-contre). « Il n'y a plus ou peu de coordination médicale avec les généralistes et les équipes de ville, assène le Dr Jean-Paul Zerbib, représentant des médecins salariés au sein de la CFE-CGC. Et lorsque les médecins sont présents, la charge de travail est tellement énorme que les contrôles nécessaires ne sont pas bien faits. »
Face à l'urgence de la situation, Agnès Buzyn a annoncé jeudi dernier le déblocage en 2018 d'une enveloppe de 50 millions d'euros pour accompagner les EHPAD mis en « difficulté » par la réforme tarifaire, soit 10 % des établissements pour l'essentiel publics. « Ce sont des pansements, cela représente 5 000 euros par établissement ! », s'offusque la CGT. La Fédération hospitalière de France (FHF) s'inquiète également de la façon dont sera répartie cette somme, de toute façon insuffisante pour couvrir « le manque à gagner pour les établissements publics de 200 millions d'euros » qu'implique la réforme.
« Pas une broutille ! »
Dans le cadre d'un déplacement très protocolisé vendredi dernier dans le bel hôpital gérontologique de Chevreuse (Yvelines), qui comprend un EHPAD de 76 résidents, Agnès Buzyn a réfuté cette critique. « Ce n'est pas une broutille ! C'est du concret pour les établissements en termes de création de postes, a indiqué la ministre de la Santé. Je pense qu'il y a un décalage ressenti, et à juste titre, par les personnels entre l'urgence des besoins et le fait que le vote du budget date d'il y a un mois. » Outre ces 50 millions d'euros de bonus, 100 millions d'euros ont été votés dans le dernier budget de la Sécurité sociale ainsi que 10 millions d'euros pour déployer l'expérimentation des postes d'infirmières d'astreintes de nuit en EHPAD.
« Nous sommes rassurés, mais nous attendons de voir l'application de ces annonces », a lâché, un peu sceptique après le passage de la ministre, une cadre de santé au « Quotidien ». Ce mardi, l'établissement comptera 25 grévistes, « une première », assure une aide-soignante.
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