En France, les soins primaires se réorganisent depuis une quinzaine d’années à travers le développement de maisons de santé pluridisciplinaires et, désormais, de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Mais les spécialistes libéraux sont encore secondairement engagés dans ces organisations collectives.
La tendance se traduit par « une hyperspécialisation entraînant une fragmentation de l’offre de soins de plus en plus importante » et des difficultés d'accès aux spécialistes, relève l'IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) dans une étude* qui s'emploie à tirer les leçons d'expériences étrangères qui font bouger les lignes.
De fait, cette lenteur hexagonale à casser les frontières et à innover dans le décloisonnement (ville/hôpital, soins de proximité/médico-social) contraste avec certains modèles d'organisation de la médecine spécialisée en vigueur dans plusieurs pays (Allemagne, Angleterre, États-Unis, Italie, Pays-Bas). À la clé : des prises en charge plus fluides et plus intégrées centrées sur les besoins des patients.
Réduire les hospitalisations répétées
Selon cette étude, l’objectif partagé est presque toujours de diminuer les hospitalisations répétées grâce à une coordination accrue entre soins de ville, hospitaliers et à domicile, en « discernant mieux les préférences » des patients, notamment chroniques. Autre constat : la démarche de coopération renforcée voire d'intégration émane des soignants eux-mêmes afin de régler un problème de prise en charge local ou national. Les systèmes imposés d'en haut sont voués à l'échec.
En Angleterre par exemple, des pneumologues hospitaliers ont initié une organisation intégrée avec la médecine de ville et à domicile pour réduire les réadmissions. Ils partagent leur expertise y compris en formant les professionnels des centres de soins primaires et les acteurs du domicile (missions reconnues par un diplôme).
En Italie, pays décentralisé, ce sont des spécialistes ambulatoires avec des généralistes et des infirmières qui ont lancé un protocole complet pour réduire la fréquence des amputations des pieds diabétiques ou les complications cardiaques. Cette démarche a ensuite été accompagnée par la région concernée (Toscane).
Équipes pluripro et expérience patient
Dans tous les exemples étudiés, la construction d'équipes interpro se fonde sur une « vision partagée des soins nécessaires » à la population. D'où la priorité accordée systématiquement à la prise en compte des besoins des malades et aux retours d'expériences pour élaborer tel ou tel modèle. C'est le cas de l'expérimentation de paiement à l'épisode de soins intégrés en maternité aux Pays-Bas (où le plan de soins inclut les recommandations de femmes enceintes ou ayant accouché récemment).
Pour atteindre cet objectif, les outils qui mesurent l’état de santé et la qualité de vie perçue par les patients ou la qualité des soins ressentie sont souvent déployés comme les PROMs (Patient Reported Outcomes Measures) ou les PREMs (Patient Reported Experience Measures), souligne l'IRDES. C'est le cas en Italie où ces indicateurs sont utilisés tout au long du parcours de soins en insuffisance cardiaque chronique.
Dans les schémas étudiés, il n’y a pas de modèle centré « exclusivement » sur les spécialistes, mais des équipes réunissant des praticiens et des auxiliaires médicaux aux profils et niveaux de qualifications variés. Dans ces pools, les médecins spécialistes et généralistes « attribuent un rôle central aux infirmières » considérées comme les mieux placées pour développer ce type d'approche holistique.
Éviter les querelles de frontières
L'IRDES relève que le parcours du patient (dicté par les différents niveaux de gravité préétablis) est utilisé au maximum comme un outil de partage des rôles professionnels. C'est pourquoi les interventions des soignants sont clairement formalisées et délimitées. Dans l'exemple italien des réseaux de prise en charge du pied diabétique, expose l'IRDES, « le spécialiste assume son rôle dans un parcours de soins gradué en garantissant un accueil dans les 24 ou 72 heures si un patient présente des lésions graves. Il est responsable de former les infirmières et les généralistes qui, eux, ont pour devoir le dépistage précoce des lésions des pieds. Le généraliste et l’infirmière à domicile reçoivent des consignes cliniques très précises pour suivre les patients suite à une hospitalisation. »
Pour établir le lien entre soignants hospitaliers et de ville, un rôle pivot est souvent confié à une infirmière de pratique avancée. Dans l’insuffisance rénale chronique en Caroline du Nord, une infirmière praticienne (nurse practitioner) spécialisée en néphrologie et salariée de l’hôpital universitaire travaille dans des centres de dialyse ambulatoires privés. L'hôpital finance son poste mais elle passe la majorité de son temps dans les quatre centres privés de dialyse. Ces infirmières offrent, de manière légale et autonome, certains soins médicaux.
En Angleterre, dans le service de gériatrie intégré de la ville de Leeds, ce sont des infirmières cliniciennes seniors (Community Matrons) qui sont spécialisées dans la gestion de patients âgés complexes à domicile. Un gériatre hospitalier « d'interface » intervient aussi en ville et à domicile.
Capitation et base salariale
Comme en France, ces organisations collégiales s'accompagnent de financements variables, sans modèle unique. Mais la plupart des professionnels impliqués, notamment les spécialistes, « sont rémunérés sur une base salariale ou à la capitation, parfois complétée par des paiements à l'acte ou à la performance », analyse l'étude. Dans les centres ambulatoires outre-Rhin (MVZ), hérités des structures est-allemandes, l'exercice des généralistes et de plusieurs spécialités s'opère en tant que praticien salarié (90 %) ou libéral conventionné.
Il existe très souvent des « paiements incitatifs supplémentaires » à la fois pour les hôpitaux et les praticiens afin d'encourager la coordination « au-delà de leur secteur ». Enfin, le coût de la coopération en termes de temps et d’énergie est souvent rémunéré, note l'étude. En Angleterre, généralistes et spécialistes hospitaliers reçoivent des forfaits pour leur fonction de coordination ou de formation dans les centres de santé.
*Décloisonner les prises en charge entre médecine spécialisée et soins primaires : expériences dans cinq pays. IRDES, Questions d'économie de la santé, avril 2020.
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