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Dossier

Responsabilité collective, engagement territorial…

Permanence des soins : la profession sous pression

Par Loan Tranthimy - Publié le 27/01/2023
Permanence des soins : la profession sous pression


Le gouvernement a institué une « responsabilité collective » de participation à la permanence des soins sur un territoire, tant en ville qu'en établissement. Cette évolution fait resurgir le spectre des gardes obligatoires, 20 ans après leur suppression. À rebours des mesures contraignantes, les médecins libéraux vantent l'efficacité des organisations locales. Plusieurs syndicats sont engagés dans un mouvement de grève de la PDS.

Après les menaces de régulation à l'installation, c'est la question de la permanence des soins qui est revenue sur le devant de la scène, vingt ans après la fin des gardes obligatoires.

Face à l'érosion du taux de volontariat national des généralistes pour cette mission de service public (38,5 % selon l'Ordre, soit 24 472 médecins volontaires pour 63 231 susceptibles de participer à la PDS-A), les appels à la fermeté des parlementaires et des élus ruraux, mais aussi de la FHF, se sont multipliés depuis un an, convergeant vers un retour à l'obligation de garde. 

Musique insistante

Rien qu'au mois de décembre, une proposition de loi (PPL) transpartisane (réunissant des élus communistes, écologistes, LFI, socialistes, LR, MoDem, Horizons et Renaissance), portée par le député de la Mayenne Guillaume Garot, recommandait cette solution contre les déserts médicaux et la saturation des urgences. Cette même petite musique a été jouée au Sénat avec une autre PPL socialiste affirmant que « l'engorgement des urgences est directement lié à un manque de gardes de la part de la médecine libérale ».

Nommé à la tête du ministère de la Santé en juillet 2022, François Braun a toujours écarté l'idée de revenir sur le volontariat mais, face aux pressions, il réclame « une logique de droits et devoirs » et d'« engagement territorial », à traduire dans le champ conventionnel.

Les choses se sont accélérées ces derniers jours. À la faveur de l'examen par l'Assemblée de la proposition de loi Rist, autorisant l'accès direct à divers paramédicaux, l'exécutif a institué le principe de « responsabilité collective » de participation aux gardes sur un territoire, tant en médecine de ville qu'en établissement. « Cela permettra de garantir un accès aux soins non programmés pendant les horaires de fermeture des services hospitaliers et des cabinets médicaux (...) », avance l'exposé des motifs. La mesure est assortie de contrôles et de réquisitions. « Les médecins doivent s'organiser entre eux pour assurer cette permanence, assurer la juste contribution de chacun dans un équilibre entre les établissements de santé publics et de santé privés et les professionnels libéraux », a assumé François Braun, alors que le nouveau député (Horizons) Frédéric Valletoux, ex-patron de la FHF, se félicitait de cette « avancée importante ».  

Les négos sous tutelle ?

Le ministre a  chargé les partenaires conventionnels de définir « les modalités appropriées de valorisation », au titre de leur engagement territorial. De quoi exaspérer les syndicats médicaux qui y ont vu une intrusion dans les négociations, voire une mise sous tutelle. De fait, lors des réunions bilatérales, la Cnam a mis sur la table un nouveau « contrat d'engagement territorial », payé au forfait, où trône en bonne place la participation à la PDS, à hauteur de « trois fois par trimestre » pour le généraliste qui coche cette option. En contrepartie, la caisse prévoit des « avantages financiers », non chiffrés. « On conditionne les revalorisations tarifaires à ces engagements supplémentaires, dont la PDS-A », dénonce MG France.

Le tour de vis de l'exécutif irrite aussi le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel. « Qu'apportera la responsabilité collective ? Avec 38 % de volontaires, on arrive déjà à couvrir 96 % des territoires les week-ends et jours fériés et 95 % en soirées de semaine, explique le généraliste mayennais. Sur les 5 % territoires restant, il faut se pencher sur les vraies raisons ». Pour le Syndicat des médecins libéraux (SML), il est même « particulièrement grave » de contraindre des praticiens libéraux « dont une très grande partie ont plus de 60 ans » à prendre des gardes. Dans ce contexte, plusieurs organisations ont appelé leurs troupes à la grève des gardes ces derniers jours. 

Tarifs et régulation, recette gagnante

Plutôt que des mesures directives qui risquent de décourager la profession du libéral, les syndicats mettent en avant les nombreuses organisations et initiatives locales instaurées par les associations départementales de la PDS, gérées par les libéraux.

En Mayenne, département rural frappé par la pénurie médicale, « nous n'avons jamais eu de trous dans le tableau de garde depuis 2006, que cela soit pour la régulation ou l'effection », s'enorgueillit le Dr Duquesnel. La recette ? Une « régulation efficace » qui permet de solliciter les effecteurs « uniquement lorsque c'est nécessaire ». Quant aux astreintes, elles sont payées 450 euros pour 12 h, versées par l'ARS. « La rémunération est un facteur incitatif déterminant, même si ce n'est pas tout », dit-il.

En Seine-Saint-Denis, le Dr Georges Hua, membre du service urgence (Sur 93) loue le partenariat avec le Samu, l'Ordre départemental et le syndicat local. Les 25 généralistes volontaires assurent à la fois la régulation et les visites, de jour comme de nuit. « On arrive toujours à remplir les tableaux de garde », précise-t-il. En 2021, le service d'urgence 93 a effectué quelque 35 000 visites en horaires de la PDS-A.

En Eure-et-Loir, département habitué aux réquisitions, on vante une réorganisation qui permet de diminuer la fréquence des permanences. Selon l'énergique Dr Véronique Fauchier, vice-présidente de l'association départementale de PDS, « cela représente six gardes par an en maison médicale de garde » et, en régulation, « une ou deux gardes par mois. ».

Dans l'Indre cette fois, 80 % des généralistes sont volontaires pour des gardes en semaine et le week-end. Selon la Dr Sylvaine Le Liboux, les médecins se réunissent par secteur pour décider leur tour de garde. En accord avec le Samu, la régulation s'effectue au sein de leur cabinet. « Depuis mon installation, il y a 28 ans, nous n'avons jamais eu de trou dans les gardes », assure-t-elle. Comme ses confrères, la généraliste de Valençay défend le volontariat, acquis de haute lutte au début des années 2000. « Si on revient en arrière, prévient-elle, il n'y aura plus d'installation »

Dossier réalisé par Cyrille Dupuis, Léa Galanopoulo, Véronique Hunsinger et Loan Tranthimy