Stéphane Billon, économiste de la santé, enseignant-chercheur à Paris Dauphine

« Pour combattre les déserts médicaux, il faut une réforme culturelle »

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Publié le 19/10/2017
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Crédit photo : DR

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LE QUOTIDIEN : Le plan « anti-déserts médicaux » présenté le 13 octobre est-il à la hauteur des enjeux ?  

STEPHANE BILLON : J'attendais un plan révolutionnaire ! Or la ministre de la Santé n'a fait que dérouler le pacte territoire-santé de Marisol Touraine : incitations à l'installation dans les zones fragiles, développement des stages ambulatoires, soutien aux remplacements, au cumul emploi retraite…  Les mesures sont avant tout d'ordre financier. Or ce n'est pas l'essentiel à mes yeux. Pour combattre les déserts médicaux, l'urgence est de changer les comportements. Il faut engager une réforme culturelle.  

De quelle réforme culturelle parlez-vous ?

Le plan entend favoriser l'émergence de nouveaux projets organisationnels, portés par des médecins, avec le soutien d'un fonds d'innovation spécifique. Cela ne suffit pas. Cela ne marchera pas sans un changement culturel profond au niveau des agences régionales de santé [ARS]. Aujourd'hui, on demande aux médecins d'être des agents de l'État, d'acquérir de nouvelles compétences compliquées pour présenter des projets face à une tutelle qui va souvent les contrôler et évaluer leurs solutions. Or, le métier des médecins n'est pas d'organiser les soins sur le territoire ou de créer des projets de santé. Leur métier est de soigner ! Ce travail de réorganisation doit être confié aux ARS avec des moyens financiers supplémentaires et une nouvelle méthode. 

Mais il existe une défiance des médecins libéraux vis-à-vis des ARS…

Oui, car à l'exception de quelques agences comme celles d'Ile-de-France ou PACA, les autres restent dans leur tour d'ivoire… Il y a davantage une culture du contrôle que de l'accompagnement des projets. Le gouvernement doit impulser ce changement de culture ; il faut imposer par exemple à chaque ARS la création d'une cellule technique de quatre ou cinq agents formés au langage du médecin libéral. Cette équipe – composée d'au moins un médecin connaissant bien les praticiens du territoire – devra aller sur le terrain, établir le diagnostic puis soumettre les projets de santé cousus main aux médecins. Les rôles doivent être inversés ! Le vrai patron, ce n'est plus l'ARS mais bien les médecins de terrain. Cela change tout. 

Vous avez accompagné pendant des années la création de maisons de santé. Le plan prévoit l'ouverture de 1 000 structures supplémentaires. Cet objectif est-il réaliste ?

Non. Le plan met en avant la promesse d'Emmanuel Macron de doubler les maisons de santé. Ce stade est dépassé. Il faut plutôt réfléchir à la coordination globale de tous les acteurs que sont les maisons de santé, les équipes de soins primaires, les communautés professionnelles territoriales de santé, les hôpitaux, les EHPAD et les cliniques privées. Cette coordination est indispensable pour construire un parcours de soins cohérent dans chaque territoire.

Au lieu de mettre 400 millions d'euros dans la seule construction de ces maisons de santé, mieux vaudrait les investir dans des dispositifs efficaces de coordination. Il faudrait par exemple instaurer des procédures et protocoles de prise en charge des patients par pathologie – diabète, hypertension… – et financer la coordination nécessaire et le travail en équipe. 

Propos recueillis par Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin: 9611