Perte d'indépendance des biologistes, délais d'attente plus longs, accueil des patients en dégradation… Ce mercredi 5 mai, le réseau « Les biologistes indépendants » – qui regroupe près de 1 000 biologistes médicaux et 8 000 collaborateurs – a sonné l'alerte sur les conséquences de la financiarisation de la biologie médicale, un processus en marche depuis une dizaine d'années.
Lancé en 2016, ce réseau coopératif réparti sur 650 sites se veut une « alternative » pour les laboratoires qui ne veulent pas rejoindre de grands groupes financiers, désormais majoritaires. Ces derniers représentent en effet environ 70 % des parts de marché. « L'indépendance n'est pas juste un mot, c'est aussi un modèle économique et juridique vertueux, indique la Dr Dominique Lunte, médecin biologiste et présidente du réseau. Au sein des laboratoires de groupes financiers, le pouvoir est centralisé non plus aux mains des biologistes, mais dans celles d'investisseurs étrangers. » Pourtant, plaide la Dr Lunte, le fait d'avoir un biologiste patron est « la garantie du meilleur choix pour le patient ».
Difficultés des médecins
Pour appuyer ses valeurs, le réseau a lancé une campagne médiatique et a questionné médecins généralistes et Français sur ce sujet, dans une étude réalisée par l'Ipsos*. Il s'avère que 89 % des médecins généralistes interrogés estiment que les laboratoires de biologie sont « de plus en plus » rachetés par des groupes financiers (un constat partagé par plus des trois quarts des Français) et 75 % jugent que ce n'est pas une bonne nouvelle car cela risque de conduire à une baisse des investissements matériels et humains pour dégager le plus de profits possible.
En parallèle, ils sont 47 % à avoir déjà rencontré des difficultés pour réaliser des analyses médicales urgentes (pour leurs patients). 49 % ne sont pas satisfaits des délais dans lesquels les résultats d'analyse leur ont été envoyés ; 55 % ont déjà constaté un retard de certains examens d’analyses médicales, pouvant entraîner des retards de diagnostic ou de prise en charge enfin ; 27 % estiment que les laboratoires de biologie médicale communiquent insuffisamment avec eux.
Près d’un médecin sur deux (et la même proportion de Français) déclare qu’il lui arrive d’éprouver des difficultés à échanger sur des résultats d’examens avec les laboratoires, faute d’interlocuteurs disponibles. Alors que de nombreux patients sont stressés à l'idée d'aller faire des analyses médicales, 96 % des généralistes estiment que les labos doivent faire plus d'effort pour rassurer ces patients, et les deux tiers attendent plus de rapidité dans le rendu des résultats, et de proximité géographique. En tout, 59 % des médecins de famille font davantage confiance à un laboratoire indépendant pour appliquer ces mesures qu'à un groupe financier.
Inquiétude des patients
De fait, les patients sont « les premiers » à subir les effets de la biologie financière, souligne le Dr Lunte. « Les effets de concentration sont le corollaire de la financiarisation, complète le Dr Jean-François Thébaut, vice-président de la Fédération française des diabétiques (FFD). En ville, les labos ferment et il y a une diminution de la qualité de l'accueil des patients. Or l'absence de contact humain est l'aspect le plus redouté par le patient. »
Face à ces effets délétères, les biologistes indépendants opposent leur modèle où la proximité est « la valeur clé ». « Nos plateaux techniques sont à moins d'une heure des sites de prélèvement, certains sont ouverts 24/24 pour les urgences, met en avant Sylvain Gabuthy, directeur du développement. En cinq ans, 107 sites ont été créés dans des zones rurales et des petites villes ! »
Pour mettre fin aux dérives, la Dr Dominique Lunte demande par ailleurs que la réglementation soit renforcée. Normalement, les tiers extérieurs ne peuvent pas posséder plus de 25 % du capital et des droits de vote d'une société d'exercice libéral (SEL). « Or, les financiers ont contourné cette législation. Même s'ils n'ont qu'un quart des parts, ils ont 99 % des droits financiers, déplore la médecin biologiste. Le législateur doit combler ce vide juridique. »
* Sondage auprès de 400 médecins généralistes et de 1 019 Français de plus de 18 ans (méthode des quotas).
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