Par Claire Quétand-Finet*
UN ARRÊT de la Cour de cassation est venu alimenter le contentieux – désormais abondant – relatif aux conséquences supposées de la vaccination contre l’hépatite B. Les faits sont peu ou prou les mêmes que dans nombre d’affaires précédentes : un homme a subi trois injections du vaccin en décembre 1998, janvier puis juillet 1999. Dès le mois d’août 1999, lui qui jouissait d’une excellente santé et qu’aucun antécédent familial ne prédisposait à la maladie, a présenté des tremblements et divers troubles, par la suite diagnostiqués comme les prémices de la sclérose en plaques. Il a donc intenté une action en responsabilité contre le fabricant du vaccin. La Cour d’appel de Versailles l’a débouté de sa demande. Elle affirme en effet que « le rapport bénéfice/risque n’a jamais été remis en question », et que « le défaut de sécurité objective du produit n’est pas établi ». La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel et affirme « qu’en se déterminant ainsi, par une considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination (…), sans examiner si les circonstances particulières qu’elle avait retenues ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des trois doses administrées, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Ce faisant, la Haute juridiction poursuit l’aménagement progressif, débuté en 2008, d’une jurisprudence particulière et bienveillante en faveur des victimes supposées de la vaccination contre l’hépatite B. Cette nouvelle pierre à l’édifice pourrait en outre favoriser l’harmonisation espérée des décisions des juges du fond.
• Les étapes de la construction jurisprudentielle relative aux conséquences supposées du vaccin contre l’hépatite B
Rappelons qu’avant 2008, la Cour de cassation rejetait systématiquement les demandes des malades visant à engager la responsabilité des fabricants du vaccin. Pour cela, elle se plaçait sur le terrain de la preuve. En effet, l’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux suppose que le malade effectue une triple démonstration : celle du dommage, de la défectuosité du produit et du lien de causalité entre l’injection du produit et l’apparition de l’affection. Or, les magistrats relevaient, avec constance, que « ni les expertises ni les études scientifiques ne concluent à l’existence d’une association entre la vaccination et les maladies démyélinisantes du système nerveux central ». Par conséquent, la Cour de cassation estimait qu’il était impossible d’établir le défaut du vaccin et le lien de causalité entre la vaccination et le dommage.
Premier virage.
En 2008, sa position change radicalement. Dans deux arrêts importants, la Cour de cassation énonce que « si l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ». Ne nous y trompons pas : l’intérêt de cette décision ne réside pas dans l’admission d’un moyen de preuve supplémentaire. Le dommage, la défectuosité et le lien de causalité pouvaient déjà être démontrés par un faisceau d’indices appelé « présomption judiciaire ».
La véritable innovation concerne le critère de la preuve, le « standard of proof » pour utiliser l’expression anglo-saxonne consacrée. La Cour de cassation, en 2008, revoit à la baisse ses exigences probatoires. Elle signale que la preuve du lien de causalité et de la défectuosité du produit, pourra désormais être établie malgré l’absence de certitude, simplement au regard d’une probabilité importante. Autrement dit, le degré d’exigence probatoire s’est clairement amoindri : le curseur s’est déplacé de la certitude à une probabilité élevée. La Cour de cassation précise toutefois que l’appréciation des éléments avancés au soutien de la prétention relève de la souveraineté des juges de première et deuxième instance. Eux seuls sont compétents pour juger si la situation rend ou non suffisamment probable le lien de causalité entre la vaccination et la survenance de la maladie.
Des disparités en appel.
La Cour de cassation, en parfaite cohérence avec cette nouvelle jurisprudence, a confirmé, en 2009, la Cour d’appel de Lyon qui avait déduit de l’absence d’antécédents familiaux et de la proximité temporelle entre l’injection et l’apparition des premiers symptômes de la sclérose en plaques, la preuve du lien de causalité entre la vaccination et la maladie. Malgré l’absence de certitude scientifique, la Cour d’appel pouvait se contenter d’une probabilité importante.
L’absence de contrôle de la Cour de cassation sur l’appréciation des juges du fond, s’il est habituel en matière de présomption judiciaire, présente toutefois l’inconvénient majeur de rendre possible des disparités de position entre les différentes Cours d’appel. Cet aspect n’a pas tardé à apparaître. En effet, la Cour d’appel de Paris, confronté à un litige très semblable à celui soumis à la Cour d’appel de Lyon, a opté pour la décision inverse. La malade avait démontré l’absence d’antécédents familiaux et la proximité temporelle entre l’injection et la survenance de la maladie. Pourtant, les juges du fond refusent d’établir le lien de causalité et la déboutent de sa demande en responsabilité. La Cour de cassation, fidèle à son récent revirement, conforte la Cour d’appel dans sa position de juge en dernier ressort de la force probante des éléments avancés par les victimes prétendues du vaccin. Dès lors, un malade atteint de la sclérose en plaques qu’il suppose être un effet secondaire de la vaccination contre l’hépatite B sera avantagé si la Cour d’appel compétente est celle de Lyon plutôt que celle de Paris. Ces regrettables divergences de jurisprudence, préjudiciables aux malades, ne pouvaient satisfaire longtemps la Cour de cassation.
• L’achèvement de la construction prétorienne favorable aux victimes supposées du vaccin ?
Dans l’arrêt d’espèce, la Cour d’appel de Versailles, statuant, à notre connaissance, pour la première fois depuis 2008, sur les conséquences prétendues du vaccin contre l’hépatite B a admis l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination et l’apparition de la sclérose en plaques. Elle se fonde pour cela sur l’excellent état de santé du patient avant l’injection, l’absence d’antécédents familiaux et la proximité temporelle entre l’injection et les premiers symptômes de la maladie. Elle en déduit, par présomption, « le lien causal entre la maladie et la prise du produit ». Toutefois, elle considère que la défectuosité du vaccin reste à établir. Elle soutient que « la seule implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à mettre en jeu la responsabilité du producteur », que « le défaut de sécurité objective » du produit n’est pas démontré par l’existence du lien causal. Cette position est relativement surprenante car, habituellement, la preuve du défaut du vaccin est déduite de la preuve du lien de causalité entre l’injection et la maladie.
La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la défectuosité du produit ne pouvait être déduite du lien de causalité lui-même. Elle ne va certes pas jusqu’à exiger des juges du fond qu’ils caractérisent la défectuosité du produit au regard de l’absence d’antécédents familiaux et de la proximité temporelle entre vaccination et survenance de la maladie, mais, pour la première fois, elle ne fait nulle mention de souveraineté d’appréciation. Là où, selon sa jurisprudence antérieure, la liberté des juges du fond dans l’appréciation des indices aurait triomphé, elle exige un nouvel examen et laisse entendre que les éléments factuels, qui par ailleurs ont permis d’admettre l’existence d’un lien de causalité, auraient pu servir à établir la défectuosité du produit.
Un signal de la Haute juridiction.
La décision du 26 septembre 2012 de la Cour de cassation peut être interprétée comme une incitation à l’endroit des juges du fond à admettre plus facilement la responsabilité des fabricants de vaccins et ainsi, à se positionner dans un sens favorable aux malades. Désormais, les Cours d’appel qui ne déduiront pas de l’absence d’antécédents familiaux susceptibles d’expliquer la maladie démyélinisante et de la proximité temporelle entre vaccination et apparition des symptômes la défectuosité du produit injecté et son rôle causal dans la survenance de l’affection prendront le risque d’être contredites par la Haute juridiction. Cette position, si elle se confirmait, serait par ailleurs en conformité avec l’esprit de la décision de 2008 qui, en réduisant les exigences probatoires, entendait faciliter la tâche des potentielles victimes du vaccin contre l’hépatite B.
1. Cass. 1re civ. 26 sept. 2012, n° 11 17738, publié au Bulletin.
2. CA Versailles, 10 fév. 2011.
3. Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01 13063 et n° 01 13064, Bull. n° 188 ; L. NEYRET, Vaccination contre l’hépatite B : fin du débat judiciaire ?, D. 2003, p. 2579 s.
4. Art. 1386 1 s. C. civ., issue de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, transposant la directive du 25 juill. 1985.
5. Art. 1386-9 C. civ.
6. Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01 13063.
7. Cass. 1re civ., 22 mai 2008, n° 05-20.317 et n° 06-10.967 ; D. 2008. p. 1544, obs. I. GALLMEISTER.
8. A.-L. SIBONY, E. BARBIER DE LA SERRE, Charge de la preuve et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence : pour un changement de perspective, RTD eur. 2007, p. 205, n° 1 : « "standard de preuve" anglicisme difficilement évitable s’agissant d’une notion qui n’est pas connue du droit français ».
9. Cass. 1re civ. 9 juill. 2009, n° 08 11073, Bull. n° 176 faisant suite à CA Lyon, 22 nov. 2007.
10. Cass. 2e civ., 8 fév. 2006, n° 04 20324, Inédit ; Cass. 2e civ., 12 juillet 2006, n° 04 30817, Inédit ; Cass. 1re civ., 23 janv. 2001, n° 98 19432, Bull. n° 6 ; Cass. 1re civ., 20 juin 1995, n° 93 16381, Bull. n° 263.
11. Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08 16097, Bull n° 185. Cet apparente contradiction dans la jurisprudence de la Cour de cassation a pu susciter un certain trouble. P. Mistretta note ainsi : « Il en est résulté un certain désordre difficilement compréhensible pour des victimes ayant pourtant subi un même préjudice, certains juges admettant la responsabilité du fabricant, d’autres s’y refusant », JCP G. 2012, p. 1061.
12. V. également Cass. 1re civ. 25 nov. 2010, n° 09 16556, D. 2010, p. 2909, note I. GALLMEISTER ; JCP G. 2011, p. 79, note J. S. BORGHETTI. Cet arrêt confirme une décision de la Cour d’appel de Paris qui avait refusé d’établir le lien de causalité entre la vaccination et la maladie malgré l’absence d’antécédents familiaux et la proximité temporelle entre l’injection et l’apparition des premiers symptomes.
13. Cass. 1re civ., 22 mai 2008, n° 05-20.317 et n° 06-10.967, V. note 8
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