Et si vous donniez une semaine par an à des patients creusois ? C’est l’idée développée par « Médecins solidaires », un collectif de praticiens cofondé par le Dr Martial Jardel, jeune généraliste limousin de 32 ans.
Depuis novembre dernier, à Ajain, petit village de la Creuse aux 1 200 âmes, un centre de santé accueille chaque semaine un nouveau généraliste venu des quatre coins de la France. La rémunération est modeste – 800 euros pour une semaine de 35 heures – « mais les médecins sont motivés surtout par ce projet solidaire », affirme le Dr Jardel, qui souhaite défendre « une médecine humaniste et de proximité ». En échange, les confrères volontaires sont logés dans « un gîte de qualité » et bénéficient de l’appui logistique d’une coordinatrice sur place.
Trois consultations par heure
Cinq mois après l’ouverture de ce cabinet d’un autre genre, 1 500 consultations ont déjà été réalisées à Ajain, et plus de 600 patients ont choisi le centre comme médecin traitant. Premier à avoir pris son tour, le Dr Pierre Aubois, jeune retraité, a parcouru 650 kilmomètres pour soutenir le projet. « Certains patients n’avaient pas vu de médecins depuis deux ans », raconte ce généraliste, installé pendant 37 ans dans le Vaucluse. L’exercice lui a tellement plu que le Dr Aubois a décidé de rempiler pour une semaine supplémentaire en janvier.
Désormais, les plannings du cabinet sont pleins jusqu’en octobre prochain. « Les médecins sont accueillis dans un cadre d’exercice serein : trois consultations de 20 minutes par heure et 40 minutes accordées aux ouvertures de dossiers pour les patients en ALD », détaille Martial Jardel. Le généraliste souhaite également mettre l’accent sur « la continuité et la qualité des soins, grâce à des fiches de transmissions pour les cas complexes et des dossiers médicaux remplis de façon exhaustive ».
Les médecins, force de proposition
Chaque lundi matin, le maire d’Ajain, Guy Rouchon, a désormais pris l’habitude d’accueillir le médecin de la semaine, soulagé d’avoir enfin trouvé une solution pour ses administrés sans médecin depuis deux ans. « Je suis allée dans les médias locaux, j’ai affiché un panneau à l’entrée du bourg pour dire que nous recherchions un médecin… Rien n’y a fait », se souvient le maire. Si les patients étaient au départ « dubitatifs », concède-t-il, l’initiative a finalement permis de « revitaliser le bourg et d’augmenter l’attractivité de notre territoire », se réjouit l'édile.
« Nous rallumons la flamme dans un village », abonde le Dr Jardel, qui espère que la semaine de vacation solidaire puisse même attiser l’envie de s’installer de certains confrères. Fils d'un généraliste du Limousin, Martial Jardel s’était lancé en mars 2021 sur les routes de France pour « un tour de France des remplacements en camping-car ! ». De ces rencontres a germé l’idée de « Médecins solidaires » - en collaboration avec l’association « Bouge ton coq » - et l’envie « que les médecins soient force de proposition ».
Une « pépite »
Invité à assister aux témoignages de ces médecins solidaires, à l’occasion d'une réunion du Conseil national de la refondation (CNR) la semaine dernière, François Braun a qualifié l’initiative creusoise de « pépite ». « C’est un exemple parfait de ce que doivent être les outils développés par le CNR », a réagi le ministre de la Santé, convaincu que « les problèmes sont dans les territoires mais les solutions aussi ». « La sève monte sur le terrain », a également salué François Bayrou, secrétaire général du CNR, qui se félicite que « la ressource disponible (de médecins) s’auto-organise ».
Partir des initiatives territoriales pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins, c’est justement la promesse des CNR Santé lancés à l’automne dernier. « Dans les territoires, des centaines d’idées sont remontées, nous allons désormais créer une boîte à outils avec la somme de ces solutions », précise François Braun, préconisant de « faire du sur-mesure ».
« Les décisions unilatérales de l'avenue Duquesne, appliquées partout en France, ça ne marche plus », avait également aussi lancé la veille Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux Professions de santé qui souhaite pousser tous les soignants à « travailler ensemble » avec les élus locaux au sein de CNR territoriaux, qui devront être opérationnels d'ici fin juin. Dès septembre dernier, la ministre avait ainsi proposé de créer des « groupes santé territoire », avec pour idée de « réunir ensemble, dans une même instance le public, le privé, le médico-social, les collectivités et les soins de ville », a rappelé la ministre, tout aussi convaincue que « les solutions viennent des territoires ».
Ces structures seront, par exemple, chargées de déployer des actions de santé adaptées à chaque département, d'organiser les parcours de soins ou encore de renforcer le lien ville-hôpital. Trente millions d’euros vont être mis sur la table pour financer des idées locales.
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