LA RUPTURE, c’est 2007. L’année Jaddo. Sous ce pseudonyme, cette jeune interne en médecine générale publie cette année-là ses premiers billets sur son blog, consacré à son quotidien à l’hôpital. Une révélation pour nombre de ses confrères et consœurs de « galère » qui de lecteurs deviennent à leur tour écrivains. 2007, c’est l’arrivée de la deuxième vague de docteurs sur le Web, après les médecins « maîtres Toile » qui, entre 1999 et 2006, ont ouvert la voie.
Contrairement aux pionniers, cette seconde génération, constituée de quelque 200 internes et médecins de toutes spécialités, libéraux et hospitaliers, s’empare souvent du Web à des fins personnelles. « Ces jeunes médecins, âgés de 25 à 35 ans, ont utilisé Internet comme un moyen pour exprimer leur souffrance du quotidien, et non pour relayer de l’information à des fins professionnelles », décrypte le Dr Dominique Dupagne, précurseur en la matière et auteur du site atoute.org.
Partage d’expériences
Pour se défouler sur le clavier, le blog, mi-journal intime, mi-carnet de bord, est le média privilégié. Une quarantaine de praticiens écrivent ainsi de façon très régulière. « J’ai toujours des histoires qui tournent dans ma tête à cause du boulot, raconte Doc Adrénaline, jeune urgentiste. Les gens qu’on a aidés, ceux qu’on n’a pas réussi à sauver… J’ai commencé à écrire pour deux raisons : pour délester mon esprit et pour partager mes expériences avec d’autres ».
Les médecins utilisent massivement Twitter, qui contribue à l’expansion de leur petite communauté. À chaque nouveau billet, un lien qui mène à leur prose est twitté. Le flux de « suiveurs » et d’admirateurs augmente alors, dépassant le cadre professionnel. « Mes lecteurs sont à 40 % des médecins et à 60 % des non-médecins », explique Jaddo, aujourd’hui généraliste remplaçante. « Le mois dernier, j’ai reçu 24 000 personnes », explique le Dr Borée, généraliste en milieu rural. Pas en consultation, mais bien sur son blog.
Petit déjeuner avec Marisol Touraine
Internet est un monde ou la parole se libère et se partage. « Le Web a apporté une notion d’intelligence collective aux médecins, souvent isolés dans leur pratique, analyse le Dr Jean-Marie Vailloud, cardiologue qui officie sous le pseudonyme Grange Blanche (il est l’un des rares à avoir levé son anonymat). Sur Twitter, un généraliste peut poser une question de "cardio" ou de "nephro" et obtenir une dizaine de réponses en moins de cinq minutes ».
Depuis quelques mois, les twitts de médecins se font de plus en plus politiques. Sur les blogs, même les écrits les plus personnels n’y échappent pas (voir ci-dessous). La présence d’acteurs de premier plan sur la Toile stimule les plumes. Marisol Touraine, ministre de la Santé, et Étienne Caniard, patron de la Mutualité française, sont très présents sur Twitter, une opportunité rêvée pour les médecins de la blogosphère.
À la rentrée, l’opération PrivésdeDéserts a fait le buzz : 24 généralistes ont twitté et blogué leurs propositions pour lutter contre les déserts médicaux et revaloriser la médecine générale. Marisol Touraine les a rencontrés jeudi dernier, lors d’un petit déjeuner auquel elle les a conviés via… Twitter (encadré).
Pour les internes grévistes qui dénonçaient la proposition de loi sur les réseaux mutualistes, la ministre a employé la même méthode en ligne. « J’ai réaffirmé mon refus de réseaux de soins fermés. Il n’y aura pas de différence de remboursement des patients », a-t-elle twitté le 15 novembre. Une information qui n’a pas été relayée par communiqué de presse officiel.
Communication
Quelle légitimité ont ces quelque 200 médecins très actifs sur la Toile ? Limitée, au regard des 270 000 médecins en exercice. Plus significatif, des praticiens mécontents de l’avenant 8 sur les dépassements d’honoraires ont regroupé sur la page Facebook des « médecins pigeons » près de 38 000 membres. Fort de ces clics de confiance, l’Union française pour une médecine libre (UFML) est née. Suffisant pour peser ? Le Dr Christian Lehmann, généraliste et blogueur en est convaincu. « Véritable arme, Internet a complètement modifié la donne en matière de communication politique ». Pour lui, ces médecins du virtuel ont gagné leur part de légitimité. A l’inverse, « les syndicats majoritaires se sont délégitimés ». À la tête de la CSMF, le
Dr Michel Chassang ne s’en laisse pas conter. Il met en avant la légitimité et la représentativité issues des urnes, lors des élections professionnelles aux URPS, et définit les mouvements médicaux surgis des réseaux sociaux comme des « cartels improvisés sur le Net ».
Spécialiste du syndicalisme médical, Patrick Hassenteufel se demande « au nom de quels médecins parlent ceux qui communiquent par Internet. Rien ne l’indique. C’est leur principale difficulté en terme de légitimité ». Reconnaissant « l’ambiguïté » de la situation « dans la mesure où la ministre reçoit certains d’entre eux », le politologue rappelle qu’aux élections professionnelles, 45 % des médecins votent. « C’est bien plus qu’aux élections prud’homales des salariés (30 %) et des patrons (25 %) », insiste-t-il.
Plébiscités par les jeunes médecins, « le Club des 24 » et les « pigeons » de l’UFML veulent-ils aller plus loin et se structurer en syndicat ? Pour les premiers, c’est non. « Aujourd’hui, nous sommes 24 généralistes, mais demain nous pourrions être 30 spécialistes et paramédicaux confondus », précise le Dr Dupagne. Les seconds ont « la volonté de durer ». Pour son président le Dr Jérôme Marty, l’UFML n’est rien d’autre qu’« un groupe de pression ». Qui pourrait - comme hier les coordinations - renflouer les troupes de la Fédération des médecins de France (FMF), seule centrale dont « les pigeons » se sentent proches.
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