Née il y a tout juste 20 ans des revendications des patients dans un contexte d’épidémie de sida et de scandales sanitaires, la loi de 2002, dite loi Kouchner, a été mise à l’épreuve par la crise du Covid-19. Cette occasion manquée pour la démocratie sanitaire pourrait aussi être le point de départ de son renouveau.
Information, consentement, choix éclairé, droit à la décision, accès aux dossiers médicaux et participation à l’élaboration des politiques de santé : les principes de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, ont été malmenés par l’épidémie de Covid-19.
« La crise sanitaire a parfaitement démontré qu’il ne suffisait pas d’adopter des textes législatifs et d’installer des structures pour que la démocratie sanitaire fonctionne. Après 20 ans d’application de la loi et deux ans de pandémie, un nouvel élan, une nouvelle conception, une nouvelle participation sont nécessaires », juge ainsi Gérard Raymond, président de France Assos Santé.
Le texte de 2002 est pourtant le fruit d’un long processus de maturation. « Les premières réflexions, lors du procès de Nuremberg et du jugement des exactions des médecins du régime nazi, portaient sur l’éthique de l’expérimentation », rappelle le Pr Patrice Debré, immunologiste, membre de l’Académie de médecine.
L’éthique des soins, une avancée des années sida
La déclaration d’Helsinki en 1964 n’a pas empêché la poursuite de pratiques pourtant jugées scandaleuses, notamment aux États-Unis et en France. « Jusqu’à la fin des années 1980 et la loi Huriet en France, des essais médicaux étaient encore réalisés sans tenir compte du consentement et du droit à l’information », poursuit le Pr Debré.
Ce sont les malades du sida qui ont relancé la réflexion. « Act Up et d’autres menaient des actions d’éclat qui interpellaient vivement les médias et le grand public. En réclamant le droit à être informés sur leur maladie et en revendiquant d’être partie prenante des décisions et des soins les concernant, ils ont ainsi poussé la logique éthique jusqu’au domaine du soin », explique l’immunologiste, qui a été aux premières loges des années sida au sein de l’ANRS*.
Le contexte de la loi est aussi celui « des procès des maladies nosocomiales, du sang contaminé, et de l’émergence d’aspirations nouvelles sur la dignité des malades et sur la transparence », ajoute Christian Saout, ancien président d’Aides et du Collectif interassociatif sur la santé, désormais président du conseil pour l’engagement des usagers de la Haute Autorité de santé (HAS). La loi répond à ces grands défis en renforçant les droits individuels. « Elle fait aussi le pari de lier la démocratie sanitaire et la qualité du système de santé. C’est une promesse », poursuit-il.
Vingt ans plus tard, la mise en application du texte reste un « jalon important », un « progrès indéniable », salue la Dr Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales du Sénat. L’ambition de « rééquilibrer la relation entre personnes vulnérables et médecins n’était pas une évidence, mais, on l’a vu avec la crise, elle ne l’est toujours pas ».
La loi a permis des avancées « en poussant au changement de discours et d’attitude de l’ensemble des professionnels de santé, mais pas dans toutes les têtes. Certains praticiens ont encore tendance à infantiliser les patients », regrette la Pr Dominique Costagliola, dont le parcours d’épidémiologiste a en partie été forgé par les années sida.
Surtout, la crise a montré que « tout un pan de la démocratie sanitaire, dont la Conférence nationale de santé, pouvait être complètement ignoré », estime-t-elle, jugeant que les pratiques « doivent encore évoluer ».
Des leçons à tirer de la crise du Covid
La mise à l’arrêt des instances au début de la pandémie « n’a pas empêché le débat d’avoir lieu dans les médias », nuance Christian Saout, tout en appelant à la création d’un nouvel espace de concertation publique. Cette aspiration est partagée par les associations. « Dans le cadre du Ségur, nous avons évoqué l’idée d’un véritable parlement sanitaire et territorial, autonome pour porter des positions stratégiques et politiques », raconte Gérard Raymond.
Les modalités de participation des usagers dans le système de santé, avec un modèle de représentants appartenant à une association agréée, doivent également évoluer, selon Christian Saout. « Des mouvements comme #PayeTonGynéco permettent, sans s’appuyer sur une association ou une organisation, de mobiliser sur un sujet et de pousser à des décisions publiques », souligne-t-il, rappelant les recommandations de la HAS pour favoriser l’engagement des usagers en santé (voir page 12).
Au-delà de cette dimension collective, l’application des principes de la loi Kouchner se heurte encore à certains obstacles. La vision idéale où patient et médecin sont à armes égales pour affronter la maladie n’apparaît pas encore totalement aboutie en pratique. « Avec la vaccination contre le Covid, on a bien vu les incompréhensions et le manque de formation de la population à la science et à la santé, alors même que le consentement éclairé réclame une connaissance des enjeux et des déterminants de la santé », analyse le Pr Debré, plaidant pour une éducation à la santé dès l’école, visant notamment à combler « l’écart de 10 ans d’espérance de vie constaté selon le niveau d’éducation ».
La recherche participative progresse
Les principes de la loi n’ont par ailleurs pas encore totalement infusé dans la recherche médicale. « Revendiquée par les malades du sida, l’intégration des patients dans la gouvernance, leur participation à la recherche et à la définition de ses objectifs n’était pas prévue par la loi. L’avancée en la matière a été plus restreinte », témoigne le Pr Debré. Si les patients VIH ont bénéficié de la création de l’ANRS, « le sujet est depuis en relative déshérence, malgré l’exemple incroyable de l’AFM-Téléthon, qui a poussé cette logique jusqu’à la production de médicaments », observe Christian Saout.
Angle mort de la démocratie sanitaire, la recherche participative commence à prendre forme avec des projets comme le réseau Seintinelles avec l’Institut Curie ou la cohorte ComPaRe (AP-HP) sur les maladies chroniques « qui est pensée avec les personnes concernées », salue la Pr Costagliola. « C’est un champ en plein développement, selon elle. On le voit au sujet de l’endométriose, un domaine qui ne bouge que du fait de personnes concernées. »
Encore timide, le mouvement semble amorcé. « C’est un long chemin. Il faut continuer à modifier nos pratiques, à se faire engueuler par les patients quand c’est nécessaire et à débusquer toutes les fois où les discours prometteurs ne se traduisent pas dans les actes », préconise-t-elle.
*Aujourd’hui ANRS-MIE (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales-Maladies infectieuses émergentes). Le Pr Debré a rapporté les premiers pas de l’agence dans « La Recherche en temps d’épidémie », éditions Odile Jacob (2021).