Dans « Little Brother », l'auteur renoue avec l'esprit des célèbres « Mythologies » de Roland Barthes (1957), qui apprenaient à déchiffrer les paroles en s'accrochant au familier, par exemple la bêtise franchouillarde sous la célébration du steak-frites ou la mythique « profondeur du linge » au service des saponides et détergents.
Selon Raphaël Enthoven, notre univers est moins plongé dans la paranoïa due à une observation panoptique que « rongé de l'intérieur par une série de dispositifs destinés à favoriser le fameux "vivre ensemble", les nudges ». L'exemple qu'il donne a de quoi surprendre la gent masculine : la « mouche » dessinée au centre des urinoirs n'est-elle pas une incitation à pisser droit ! Le « nudge » est perfide, il laisse entendre ce qu'il faut faire sans vraiment l'imposer. Par exemple, il incite en creux à réutiliser les serviettes de toilette pour protéger l'environnement, d'ailleurs « 75 % des clients le font déjà ».
L'excellence d'une conduite ne recouvre pas la duplicité de ses moyens et Raphaël Enthoven s'amuse des écriteaux signalant que « vos voisins vigilants veillent » mais ne surveillent pas…, une façon détournée et hypocrite de dire que nous traquerons sans merci tout ce qui sort de l'ordinaire.
Tics d'époque
Notre époque, ses tics horripilants mais acceptés par (presque) tous, fournit bon nombre d'exemples à la moquerie de notre philosophe. En première ligne, le selfie. « On se déguise en idée de soi. On se montre en train de se montrer (...) Nulle altérité ni rencontre dans ces autoportraits spéculaires. » Notre époque voit le doublement du réel par un virtuel fade et abstrait, tout comme le taxi ronchon d'autrefois se double d'un Uber récitatif et obséquieux dont la gluante politesse ne s'adresse en fait à personne.
Ne cachons pas que nous avons pris un grand plaisir à voir l'auteur s'en prendre avec mordant à cette injonction exaspérante, le « vivre ensemble ». Il est partout, il est à la fois « un appel, un mot d'ordre, une évidence, une règle d'or, une morale, un slogan, un Graal démocratique et un combat ». Si on le scrute bien, cet appel est fondamentalement creux, ce qui est aussi bien pratique, car dit Raphaël Enthoven avec un élan joyeux, « le fait qu'il ne dise rien de particulier lui permet de tout dire en même temps ».
Le monde décrit par le philosophe n'est pas loin d'évoquer certains tableaux de Hopper. Tout y est calme et dépouillé de chair, comme une poupée Barbie, la banalité n'y est jamais loin de la menace et la bêtise secrète ses fausses évidences. Ce n'est pas le moindre mérite de ce livre que de la débusquer.
Raphaël Enthoven, « Little Brother », NRF/Gallimard, 118 p., 11 €
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