Marc Augé commence par remarquer que les livres traitant du bonheur fleurissent dans les moments d'inquiétude, de pesanteur sociale. Ainsi, entre autres, « 7 Façons d'être heureux » de Luc Ferry (XO, 2016) ou « Métaphysique du bonheur réel » d'Alain Badiou (Puf, 2015). Le paradoxe n'est apparent que si l'on admet que les gens heureux n'ont pas d'histoire.
S'il est vrai que nos vies sont accablées d'innombrables misères, ne serait-ce que le souvenir de voix chères qui se sont tues, il y a une quasi-évidence du malheur qui le discrédite aux yeux d'un penseur. Aussi Marc Augé a-t-il choisi de mettre bonheur au pluriel dans son titre, car il y a dans une vie des bonheurs soudains qui surgissent alors que le contexte ne semblait pas s'y prêter et qui tiennent bon contre vents et marées, au point d'imprégner durablement la mémoire.
D'emblée, l'auteur établit que ces bonheurs sont souvent liés à notre manière de nous situer dans le monde, par rapport à nous-mêmes et à autrui. Le rapport aux autres est en jeu dans tous les moments de bonheur ; le rapport à soi et le rapport aux autres sont indissociables, dit Marc Augé.
BMT et saveurs du présent
De fait, il y a bien des bonheurs tout simples – on serait tenté de dire tout bêtes –, ne serait-ce qu'avoir la joue caressée un matin par le soleil ou recevoir des compliments de nos amis. Mais l'astuce du livre est de ne pas verser dans l'euphorie et au contraire de créer une classe à part, les BMT, les « bonheurs malgré tout ».
Il s'agit là de bonheurs passés (ou de baisers volés…), de souvenirs gravés. On sait qu'ils seront toujours disponibles, contrairement à la madeleine de Proust, qui dépend d'un rappel évocateur dans le présent.
Ce qui caractérise encore ces bonheurs simples, c'est qu'ils sont profondément individuels, même si l'auteur nous promène beaucoup dans les fêtes collectives, les cérémonies familiales et les retrouvailles d'anciens du village à l'occasion de l'enterrement d'un bon vieux copain.
Ce qui montre l'acuité de ces petits bonheurs, c'est justement le fait d'en être privé. Nous trouvons normal d'aller lire notre journal au café du coin le matin, mais nous voici hospitalisés pour quelques jours et nous mesurons combien nous étions heureux sans le savoir.
Ce bonheur peut devenir presque violent. C'est le cas dans la Joie, dont Bergson nous dit qu'elle profondément liée à la création. Ce sentiment se retrouve aussi dans le fait de commencer quelque chose. Ces moments sont rares. « La retraite, dit Marc Augé, est l'un de ces moments cruciaux qui décident du style de vie. » On réclamait du temps ? En voici ! Qu'allons-nous en faire ? N'est-ce pas l'occasion merveilleuse de découvrir le numérique avec l'aide… de ses petits-enfants.
L'âge nous enseigne à vivre « au jour le jour » et à tirer du présent tout ce qu'il peut apporter, explique Sénèque, mais il faut se dépêcher d'en jouir, car, comme l'écrit Jacques Prévert, « J'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en partant ».
Marc Augé, « Bonheurs du jour - Anthropologie de l'instant », Albin Michel, 162 p., 15 €
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