De l'hommage aux grands-pères à la quête d'un papa

Cinq auteurs et les liens familiaux

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Publié le 15/01/2018
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L-La Revenue

L-La Revenue

L-Le Syndrome de Garcin

L-Le Syndrome de Garcin

L-Magda

L-Magda

L-Prendre un papa par la main

L-Prendre un papa par la main

Auteur d’une quinzaine de livres (romans, récits et essais), Jérôme Garcin trace un nouveau sillon dans la veine autobiographique qui lui a permis d’évoquer la mort de son père lorsqu’il avait 17 ans (« la Chute de cheval ») et celle de son frère jumeau, fauché par une voiture la veille de ses 6 ans (« Olivier »). Dans « le Syndrome de Garcin » (1), il rend hommage à son grand-père paternel, le neurologue Raymond Garcin, alias Papi, qui a donné son nom au syndrome paralytique unilatéral global des nerfs crâniens, et à son grand-père maternel, le pédopsychiatre Clément Launay, son Pam. Deux grands humanistes et cliniciens, deux figures tutélaires qu’il fait revivre par touches affectueuses et admiratives.

À partir de ces grands noms de l’histoire de la médecine – parmi d’autres, puisqu’il descend d’une lignée de médecins depuis au moins Napoléon 1er –, Jérôme Garcin s’interroge sur ce qu’il doit réellement à ses ancêtres, sur les formes de transmission et les raisons historiques, sociales ou personnelles qui mettent un terme à une lignée.

Dans « Chanson de la ville silencieuse » (2), la narratrice n’a pas de nom. Au début du livre elle n’est que « la fille du chanteur », une star de la scène et des médias qui a choisi, quinze ans auparavant, de se retirer dans une propriété isolée en Ardèche. Un soir, il est parti ; on a retrouvé sa voiture et ses affaires le long du fleuve et on l’a déclaré mort. Sur la foi d’un cliché flou, la jeune femme se rend à Lisbonne à la recherche du chanteur vagabond. En remontant le cours de sa mémoire et en confrontant ses perceptions d’enfant avec les gros titres des journaux et les histoires inventées dans les biographies, elle finira par se trouver elle-même. Elle sera la fille du chanteur mais à sa façon discrète, en se consacrant comme son père au plaisir des mots, mais à ceux des autres, qu'elle aura pour vocation de mettre en valeur. Un roman d’Olivier Adam très prenant, intimement travaillé par la musique tout en rendant hommage à la littérature.

Transmission, abandon

Librement inspiré d’une affaire judiciaire réelle (l’affaire de Tarnac en 2008), « Magda » (3) met en scène une femme d’une soixantaine d’années qui vit en quasi-autarcie dans un petit village. Un jour, elle apprend que sa fille Alice, une militante écologiste, a été arrêtée et accusée de terrorisme après le sabotage de lignes de chemin de fer. Normalienne, professeure agrégée et docteure en philosophie, Mazarine Pingeot s’est emparée de ce fait-divers qui a pris une tournure de plus en plus politique, pour s’interroger sur la part de soi que l’on transmet à ses enfants. Alice a-t-elle vraiment eu l’intention d’attenter à des vies humaines ? Quel rôle Magda a-t-elle joué dans cette dérive ? Le secret n’engendre-t-il pas obligatoirement la violence ? Mais aussi : que signifie réellement vivre en dehors de la société ? Qu’il s’agisse d’une communauté ou d’une famille, peut-on échapper aux liens qui nous attachent les uns aux autres ?

Dentiste de profession, Donatella Di Pietrantonio a obtenu avec « la Revenue » (4), son troisième roman et le premier traduit en français, le prix Campiello 2017 et un grand succès dans son pays. Ancré dans son âpre terre natale des Abbruzes et inspiré de souvenirs d’enfance, ce récit témoigne des violents contrastes sociaux de l'Italie des années 1970. Une adolescente de 13 ans, enfant des villes, fille unique choyée et gâtée, est brusquement et sans explication renvoyée par ses parents d’adoption – son oncle et son épouse, mais elle l’ignorait – dans sa famille biologique à la campagne, auprès de quatre frères et d’une sœur dans une famille dont elle ne comprend ni le dialecte, ni les règles de vie. Le roman traite de ce double abandon, de cette « orpheline de deux mères vivantes » soudain plongée dans un arrière-pays montagneux encore pétri de traditions séculaires. Et de la façon dont elle réussira petit à petit à se reconstruire une identité.

Auteure de quatre romans et de trois essais, l’ancienne journaliste Tristane Banon offre en ce début d’année une histoire en forme de conte de fées des temps modernes. Où une jeune femme apprend, quelques heures avant d'accoucher, que le père de son enfant s’est enfui ; et où le bébé, sensible au désarroi de sa mère, décide de prendre les choses en main jusqu’à trouver un « papa » pour sa maman. « Prendre un papa par la main » (5) est un récit à deux voix dans lequel l'auteure épouse tour à tour les pensées de la mère et de l’enfant de la naissance jusqu’à 1 an et la trouvaille de la perle rare, avec de savoureux renversements de points de vue. Un conte de fées ? Non, un récit quasi autobiographique !

(1) Gallimard, 153 p., 14,50 €
(2) Flammarion, 220 p., 19 €
(3) Julliard, 296 p., 20 €
(4) Seuil, 237 p., 20 €
(5) Robert Laffont, 229 p., 19 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9631