Le festival de Cannes

Comment dire la violence

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Publié le 17/05/2018
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Cannes 2-BlacKKKlansman

Cannes 2-BlacKKKlansman
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Cannes 1-Jack1

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Cannes 3-Trois visages

Cannes 3-Trois visages
Crédit photo : MEMENTO

La violence, le Danois Lars von Trier en est l'un des explorateurs les plus audacieux et les plus discutés. Sept ans après des propos choquants sur Hitler, il est de retour à Cannes hors compétition avec « The House that Jack Built », dont certaines scènes ont fait fuir les spectateurs de la soirée de gala.

Toujours aussi fou ou aussi créatif, dans son cas c'est la même chose, Lars von Trier imagine une sorte d'artiste du crime en série, Jack (Matt Dillon, qui arrive à jouer de toutes sortes de nuances dramatiques et ironiques). On a droit à quelques-unes de ses œuvres sanglantes, très sanglantes, ponctuées de commentaires et de références artistiques et historiques (y compris de la période nazie), dans la conversation du héros avec un certain Verge (Bruno Ganz).

Que peut-on montrer, que peut-on dire, quelles sont les limites ? Dans son film que l'on peut juger aussi talentueux qu'insupportable, Lars von Trier répond ainsi à sa manière provocatrice à tous ses détracteurs. Courageux ou inconscient, en tout cas maître des images.

Spike Lee quant à lui continue le combat contre le racisme qui ronge toujours son pays et il sait raconter des histoires. « BlackKKKlansman » (sortie le 22 août) s'inspire du récit de Ron Stallworth, un policier afro-américain qui, en 1978, réussit à infiltrer le Ku Klux Klan dans la bonne ville de Colorado Springs. On verra comment en suivant John David Washington (qui a la voix et sans doute beaucoup du talent de son père Denzel) et Adam Driver dans des scènes à la hauteur du meilleur cinéma américain. 

Le cinéaste de « Jungle Fever » et « Malcolm X » ne peut s'empêcher de relier les suprématistes blancs d'hier à ceux d'aujourd'hui, et les victimes noires des années 1970 à celles des années Trump. Une fin trop démonstrative pour certains, utile pour d'autres, qui n'enlève rien en tout cas à la force du film.

Autre combat, celui des « Filles du soleil » (21 novembre). Le deuxième film d'Eva Husson après « Bang Gang » ne manque pas d'ambitions ni de répondant. La jeune réalisatrice a enquêté longuement avant d'écrire une fiction qui se veut réaliste sur le combat des femmes kurdes et le martyr des Yézidis. Cela donne une journaliste (Emmanuelle Bercot) qui va assister à une bataille décisive d'un bataillon de femmes constitué d'anciennes prisonnières des hommes en noir, et qui, entre deux mouvements en avant, écoute le récit des horreurs qu'elles ont subi. Une volonté de tout dire, tout montrer qui se révèle contre-productive. Trop de flash-back et de premier degré. Dommage.

Des fables inspirées

D'autres batailles prennent des formes cinématographiques moins explicitement violentes. Ainsi « Trois Visages » (6 juin). Jafar Panahi continue à faire du cinéma malgré l'interdiction censée l'en empêcher après sa condamnation pour « propagande contre le régime ». Et continue à ausculter la société iranienne. Après son taxi à Téhéran, il nous emmène cette fois dans une région reculée en compagnie d'une actrice célèbre, Behnaz Jafari, qui a reçu l'appel à l'aide d'une jeune fille via une vidéo où on la voit en train de se pendre. Le duo mène l'enquête dans un village où les traditions ancestrales règnent encore – pesant lourdement sur le sort des femmes –, ce qui n'empêche pas de regarder des séries à la télévision. Un message cinématographique ironique et chaleureux.

Dans « Heureux comme Lazzaro », voici des paysans dans un hameau très isolé. Ils vivent comme des serfs, au service d'une marquise pour laquelle ils cultivent le tabac, mais ne le savent pas. Parmi eux, un jeune homme, Lazarro (Adriano Tardiolo, étonnant), qui ne refuse jamais rien, exploité parmi les exploités. Alice Rohrwacher, grand prix du jury en 2014 pour « les Merveilles », en fait le héros d'une fable, avec un loup et, comme le titre l'indique, une sorte de résurrection. Une fable qui se veut aussi « manifeste politique », sur « la tragédie qui a dévasté (son) pays, le passage d’un Moyen Âge matériel à un Moyen Âge humain ». La démonstration est un peu lourde, mais les images, les paysages, décors aux allures de western, et les personnages ne s'oublient pas.

L'image pensée

Hors catégorie,  « le Livre d'image ». La nouvelle œuvre de Jean-Luc Godard est-elle un film ou une création artistico-politique ? Le cinéma, le langage, l'image, le monde arabe, la révolution... : il s’agit d’un collage, que d’aucuns ont qualifié d'« abscons », d’images de fiction et d’actualité, ponctué de citations généralement tronquées et de commentaires plus ou moins compréhensibles du maître. Cela va très vite et bien malin, ou d’une culture hors norme, qui reconnaîtra tous ces extraits montrés pendant à peine quelques secondes. Contre « le totalitarisme de l'image filmée », « l'image pensée », a expliqué le maître.

Renée Carton
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Source : Le Quotidien du médecin: 9665