La nature en feuillets

À couper le souffle

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Publié le 16/06/2020
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À côté d’une défense et illustration de la marche (Pascal Dessaint, David Le Breton) et d’un bel itinéraire dans les jardins de Paris (Alain Baraton), les romanciers nous entraînent entre mer et rivière avec le retour des mégalodons (Sébastien Gendron) et un récit de pêche et d’amitié (Numata Shinzuke), sur la Côte et son arrière-pays également compromis (Olivier Weber), dans la forêt de Brocéliande, qui n’est pas une légende (Agnès Ledig), et dans les marais salants bretons.

* C’est tout naturellement que Pascal Dessaint, écrivain ornithologue qui a signé une trentaine de polars ayant pour toile de fond les rapports complexes et douloureux entre l'Homme et la Nature, a été accueilli dans la collection « Marcher avec », où des personnalités confient leur rapport intime à la marche. Dans « Vers la beauté, toujours ! » (1) il nous fait partager, non sans humour, sa philosophie à la fois hédoniste et contemplative de la randonnée.

* Vingt ans après « Éloge de la marche » et huit ans après « Marcher », l’anthropologue et sociologue David Le Breton tente à nouveau de séduire les plus récalcitrants en publiant « Marcher la vie - Un art tranquille du bonheur » (2). Il revient sur le plaisir et la signification de la marche et en révèle les vertus thérapeutiques face aux fatigues de l’âme dans un monde de plus en plus technologique.

* La capitale ne se résume pas à ses monuments et ses avenues ; en témoigne « Mes jardins de Paris » (3), dans lequel le jardinier de Versailles Alain Baraton nous guide à travers plus de 500 jardins, parcs, squares et promenades. Autant de balades thématiques (jardins féministes, maudits, de chanteurs, de pouvoir…), où chaque lieu est l’occasion d’une anecdote historique, botanique ou personnelle.

Mirages de la Méditerranée

* Avec « Fin de siècle » (4), Sébastien Gendron conforte sa réputation de ténor de l’humour noir. Il imagine que demain des mégalodons encore plus énormes que leurs ancêtres ont mystérieusement ressurgi, interdisant désormais aux hommes et aux bateaux de s'aventurer sur les mers et les océans. Seule la Méditerranée, protégée par des herses, permet aux privilégiés d’étaler leurs richesses entre Gibraltar et Port-Saïd. Jusqu’à ce qu’une grille cède. En multipliant les scènes délirantes, l’auteur pointe l’absurdité de notre société matérialiste où l’argent règne en maître, et se réjouit d’une nature hostile reprenant violemment ses droits. Aussi épouvantable que drôle.

* Grand reporter, correspondant de guerre, écrivain engagé et engagé dans l’humanitaire, Olivier Weber est l’auteur de nombreux romans, essais et récits de voyage couronnés par de nombreux prix (« le Barbaresque », « la Confession de Massoud », « l’Enchantement du monde »). Après avoir averti que « l’Arrière-pays » (5) est un roman où « tout est parfaitement faux mais tout pourrait arriver », il raconte l’histoire d’un berger – doté d’un doctorat de droit international – qui délaisse ses chèvres et ses montagnes pour la Côte et ses casinos : un ami alpiniste, qui dénonçait un scandale sur la pollution des fonds marins, a été retrouvé mort sur un glacier. Une descente aux enfers pour le jeune montagnard, qui découvre l’envers du décor paradisiaque du littoral et s’aperçoit que l’arrière-pays n’est qu’un miroir de la Côte et son faire-valoir ambigu.

* Consacré par le prix Akutagawa, le Goncourt japonais, « la Pêche au toc dans le Tôhuku » (6) est un premier roman signé Numata Shinzuke, un court récit où il est question de solitude, d’homosexualité et d’un tsunami qui a ravagé cette région, des thèmes forts mais juste effleurés. On retient surtout l’approche de la nature et l’apaisement que procurent au héros des séances de pêche dans une rivière en forêt.

* Dans le sillage de « Marie d’en haut » ou « Juste avant le bonheur », le septième « feel good book » d’Agnès Ledig, « Se le dire enfin » (7), nous entraîne dans la forêt de Brocéliande. Où Édouard est arrivé sur un coup de tête après avoir laissé sa femme rentrer seule à Paris après les vacances. Au lieu de se perdre sur ces terres de légendes, il va se retrouver. Car dans la maison d’hôtes qui l’héberge il s’ouvre peu à peu aux autres, les écoute et s’intéresse à leurs difficultés, voire les aide. Sous le regard de Platon, un chat philosophe, trait d’union entre la nature et les hommes.

* Dans « la Métallo », Catherine École-Boivin tissait le destin d’une femme élevée dans le marais salant breton et qui, contrainte de prendre la relève de son défunt mari à la forge, assumait fièrement son travail à l’usine et la lutte ouvrière. Dans « Embrasser l’eau et la lumière » (8), l’héroïne devient vendeuse à Nantes, car dans le Bretagne des années 1960, les salines sont léguées aux garçons. Mais elle ne peut oublier son pays et son rêve : prendre sa place parmi les hommes des marais salants. Pour cela elle doit braver son père et l’opprobre social.

(1) La Salamandre, 140 p., 19 €

(2) Gallimard, 230 p., 19 €

(3) Métailié, 164 p., 10 €

(4) Picquier, 95 p., 12 €

(5) Calmann-Lévy, 396 p., 20,50 €

(6) Grasset, 356 p., 22 €

(7) Flammarion, 425 p., 21,90 €

(8) Albin Michel, 232 p., 18 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin