Norvège et cap Nord

Croisière féerique dans l’hiver arctique

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Publié le 13/02/2020
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Au-delà du cercle polaire, la compagnie maritime Hurtigruten dessert un chapelet de ports figés dans le grand froid. Une navigation captivante à la rencontre de terres blanches, ponctuées de villages de pêcheurs et de montagnes pétrifiées sous des ciels verdis par les aurores boréales. Ce monde parallèle fascinant se découvre lors d’un voyage aux allures d’expédition.
Le MS Nordnorge à Kirkenes

Le MS Nordnorge à Kirkenes
Crédit photo : PHILIPPE BOURGET

Le froid, piquant. Le grand blanc, paysages de neige gelés sur des montagnes érodées. Les eaux glacées de l’Atlantique et de la mer de Barents, lugubres dans la nuit polaire. La nuit, justement, étendue sur près de 24 heures, un décor de suie où hommes et reliefs s’enveloppent d’un halo fantomatique. Le tout sur un bateau confortable, refuge rassurant dans un univers abrupt vaguement inquiétant. Voilà le cocktail proposé par une croisière à l’extrême-nord de la Norvège. Un classique du tourisme hivernal qui ne l’est jamais pour ceux qui s’y frottent la première fois…

Depuis Bergen, les bateaux de la compagnie Hurtigruten sillonnent toute l’année la côte norvégienne. Un itinéraire de 2 500 miles nautiques, avec 34 escales. Franchissant le cercle polaire au sud de Bod , les navires se faufilent dans un labyrinthe d’îles et de fjords jusqu’à toucher Kirkenes, l’ultime port sur la mer de Barents, à la frontière russe. Au passage, ils auront doublé le cap Nord, 71°10’21’’ de latitude, pointe septentrionale du continent européen. Exploitée depuis 1893, cette ligne maritime dévoile des horizons inédits autant que le quotidien des Norvégiens de la côte. Certains l’utilisent pour rallier les ports voisins, plutôt que d’effectuer un long trajet sur des routes verglacées.

Troms , 18 h 30, fin janvier. La nuit est tombée depuis longtemps lorsque le « MS Nordnorge » quitte le port de cette ville universitaire et commerçante, dont les pubs débordent le week-end de tribus braillardes et éméchées. Les lumières de Troms  scintillent quand le navire franchit le pont routier entre l’île de Troms ya et le continent, face au triangle de béton de la cathédrale arctique. Cap sur l’intimidante nuit polaire, à l’abri du duvet confortable de la cabine, bercé par le roulis du navire.

Au petit matin, il fait encore sombre quand le bateau touche Hav ysund, un minuscule port. La météo a annoncé la couleur : au cap Nord, le soleil se lèvera à 10 h 53 pour se coucher à… 12 h 04. Ce n’est déjà pas si mal. Après deux mois d’obscurité totale, il daigne émerger à nouveau pour redonner le sourire à des habitants privés de lumière naturelle. Hav ysund est entre chien et loup, immobile dans ces « heures bleues » où la nuit le dispute à la clarté diffuse. Des blocs de montagnes blancs farouches, quelques maisons colorées sur la rive, le toit pointu de l’église protestante, deux passagers attendant la passerelle sur le quai givré : voilà pour l’ambiance, pétrifiée et envoûtante.

Les villages de l'extrême-nord

Le même jour, nous gagnons Honningsvåg, petite ville de 2 500 habitants. C’est la dernière étape avant le cap Nord. Les chutes de neige ont bloqué la route menant à la pointe. L’excursion en bus au rocher ultime est annulée, remplacée par la visite de Skarsvåg et Ikam yvaer, les deux villages les plus au nord du Vieux Continent. Nous gagnons au change. À travers un paysage de toundra aux accents tragiques, nous atteignons ces bourgs qui vivent de la pêche au cabillaud et au crabe royal.

Une ambiance de confins y règne, à la limite extrême d’une vie quotidienne supportable. À 12 h 20, la pénombre a déjà tout englouti à Skarsvåg : les maisons nordiques qui se donnent des airs joyeux, la flottille de bateaux de pêche, la petite usine de traitement du poisson… Seul phare dans l’obscurité, la Northcape Winter and Christmas House. Cakes, gaufres et cafés attendent les visiteurs. Ici, toute l’année, un repas villageois est organisé le dimanche. Une fraternité rendue plus nécessaire depuis que les quotas de pêche ont cassé l’activité — mais préservé la ressource. De 150, le village est passé à 30 habitants. Il n’y a plus qu’une école dans le secteur et elle ne compte que deux élèves…

Nous rembarquons sur le « MS Nordnorge ». Entre les présentations sur le style de vie norvégien, l’histoire locale et des excursions, les repas (de grande qualité) et les heures d’attente sur le pont pour apercevoir une aurore boréale — nous n’aurons pas cette chance —, le bateau parvient le lendemain matin à Kirkenes, terminus de la ligne. Sentiment de bout du monde dans cette cité ouatée par la neige, la baie prise dans des glaces flottantes. Alors que nous partons en balade en traîneau à chiens, le soleil inonde quelques minutes l’immensité laiteuse, par-delà la frontière russe. Le grand blanc habité a parfois des allures de mirage.

Philippe Bourget

Source : Le Quotidien du médecin