Télésurveillance des examens

Dans le viseur des logiciels espions

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Publié le 26/05/2020
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Dénoncée comme invasive, discriminante, voire illégale, la télésurveillance prônée par le gouvernement pour les examens à distance se propage dans les universités et les écoles supérieures. Au grand dam des étudiants et des défenseurs des droits de l’homme.

Le décret du 24 avril 2017 relatif à l’enseignement à distance a ouvert la voie et une ordonnance du 27 mars 2020 l’a précisée : « Les examens écrits nécessitent une télésurveillance particulière qui permet de vérifier l’identité de l'étudiant et d’éviter les fraudes ». Et de conseiller 5 fournisseurs de services européens qui ont l’habitude de travailler avec des établissements d’enseignement supérieur.

Actif depuis 2015, TestWe prévoit que le candidat se fait photographier à travers sa webcam avec sa carte d’étudiant ou d’identité afin de vérifier que la bonne personne est en face de l’écran ; une fois le test commencé et les autres fonctionnalités de l’ordinateur bloquées, il est photographié toutes les quelques secondes sans qu’il s’en aperçoive. Managexam propose des solutions audio et vidéo, avec « prise de photos fréquentes, régulières ou aléatoires » ou « vidéo captée en continu ». Proctorexam s’appuie sur une « technologie avec deux prises de vues simultanées sur l’étudiant : webcam et appli smartphone ». Evalbox s’est orientée vers « des algorithmes d’analyse comportementale pour détecter les comportements suspicieux ». Smowl utilise « un algorithme de reconnaissance automatique des visages et un système qui détecte les comportements incorrects ».

D’autres logiciels existent hors liste officielle, tel Wiseflow, utilisé entre autres par l'Université catholique de Louvain ou par l’IESEG School of Management, basée à Lille et Paris. Ou encore Mereos, qui, fort de son expérience depuis 2016, va encore plus loin : non seulement il bloque les fonctionnalités de l’ordinateur et photographie l’étudiant au début de séance avec sa pièce d’identité, mais celui-ci doit présenter son environnement de travail à 360 degrés et réaliser un enregistrement de sa voix avant d'être filmé en continu, les flux audio et vidéo étant analysés à la fois par un employé et une intelligence artificielle. « Nous sommes passés de 1 500 sessions par semaine à 4 500 », a indiqué son PDG. Une manne, sachant que les tarifs s’échelonnent de 1,50 € par étudiant quand la surveillance consiste en une prise de photo régulière à 5 € si la vidéo est en continu.

Discrimination ?

Des étudiants, des professeurs et des associations comme la Quadrature du Net s’élèvent contre ces procédés, craignant une normalisation de la surveillance automatisée ; ils les dénoncent comme une intrusion dans la vie privée des étudiants et une source de discrimination pour ceux qui ne disposent pas d’un équipement adapté ou d'un environnement propice à ce genre d’examen.

Question légalité, rien n’est clair. L’article 9 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) interdit ainsi tout traitement de données biométriques « aux fins d’identifier une personne physique de manière unique », ce qui est ici le cas. La CNIL n’a toujours pas pris position sur le sujet. Les jeunes sont loin d’être convaincus que cela évitera la triche et enseignants comme élèves se demandent s’il ne faudrait pas profiter de cette situation inédite pour « préférer de véritables innovations pédagogiques à de pseudo-innovations techniques ».

Mostefa Brahim

Source : Le Quotidien du médecin