IDEES - La sécession des très riches

D’autres intouchables

Publié le 17/01/2012
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DANS LA GALAXIE de l’extrême richesse, on repère vite quelques points très scintillants. En une année, Bernard Arnaud, le P-dg du groupe LVMH, a touché plus de 9 millions d’euros, soit 3 000 euros brut de l’heure. On est très en dessous avec Jean Dujardin, qui voit tout de même ses gains s’élever à 4,4 millions d’euros.

On sent naître ici un débat sur les mérites respectifes de l’un et de l’autre. Bornons-nous à noter qu’il convient aujourd’hui de plus facilement désigner à la vindicte les revenus d’un grand industriel que d’un footballeur. Pourtant, Thirry Henry a touché en 2009 plus de 9 millions d’euros.

Ces chiffres peuvent donner le vertige mais ce ne sont que quelques astres. Pourtant, si on descend un peu, ce n’est pas le désastre. Ainsi, 58 000 personnes gagnent près d’un million d’euros par an. Beaucoup seraient en peine de savoir d’emblée ce qu’ils feraient d’une somme pareille, à laquelle s’ajoutent souvent un héritage important, des biens mobiliers et immobiliers, une foule d’investissements en France et à l’étranger, etc. L’impression qui en résulte, dit Thierry Pech, est que « les riches donnent aujourd’hui l’exemple de la démesure à des sociétés partagées entre l’envie et la colère, la fascination et le ressentiment ».

Après le repérage, toujours teinté de sentiments peu avouables, des très riches, vient la question : « Comment en sont-ils arrivés là ? » Peu surprenant, il y a deux filières à considérer. Soit le travail personnel, donc le mérite. Soit un fabuleux héritage vient frapper ceux qui ne se sont donné que la peine de naître. On sait toute la tendresse qu’on les Français pour celui qui relève du premier cas, celui qui est sorti du rang par son mérite, sa valeur, aurait dit Corneille. Mais les cartes ne sont pas équitablement redistribuées à la génération suivante : le self-made-man laisse un substantiel héritage à ses trois gredins. Ceux-ci feront sans doute une grande et bonne école, allant grossir l’écart du capital financier mais aussi culturel, tous deux créateurs d’inégalités.

Plutôt que d’accabler le lecteur de chiffres, on se confiera, pour faire le point sur le rôle de la part d’héritage dans la richesse, aux travaux de l’excellent économiste Thomas Piketty. « Très forte au début du siècle précédent, la part de l’héritage décroît fortement après les ravages créés par la deuxième guerre mondiale, mais la croissance des Trente Glorieuses favorise l’enrichissement privé. Or, à partir de 1970, le flux d’héritage repart à la hausse. » De sorte qu’on peut résumer ceci en disant que l’héritage pèse aujourd’hui presqu’aussi lourd que dans les années 1920. Il a remonté le cours du temps. En période de décroissance, il triomphe de la success story individuelle.

Colère.

Là où le livre gagne en intensité, cest quand l’auteur contient mal une certaine colère. Les riches, dit-il, sont censés faire profiter les autres de leur richesse : leur prospérité rejaillit, coule sur ceux qui sont plus bas. Rien n’est plus faux, nous est-il montré à coup d’exemples.

Plus énervante est cette vision des riches conçus comme des extraterrestres, dont la fortune est comme déconnectée des mécanismes économiques. Un thème qui doit beaucoup à une lecture romantique de la réussite individuelle. De fait, dit Thierry Pech, les riches ne sont pas hors du monde, « ni le travail, ni le talent, ni l’imagination, ni même la chance, ne suffisent à expliquer leur essor »... Ils sont les prosaïques produits du capitalisme globalisé et de politiques fiscales accommodantes.

Plus grave, affirme l’auteur, le monde est un maillage dans lequel tout le monde est redevable de quelque chose à d’autres, et ce, depuis sa naissance, c’est donc un pacte collectif que brisent les extrêmement riches. Dans ce livre, on comprend qu’il est question d’augmenter les prélèvements fiscaux sur les très hauts revenus, mais on y parle aussi de morale ou d’éthique.

Thierry Pech, « le Temps des très riches - Anatomie d’une sécession », Seuil, 173 p., 15 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9067