Le festival de Cannes

De grands moments

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Publié le 22/05/2018
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Cannes-Capharnaum

Cannes-Capharnaum
Crédit photo : Fares Sokhon

« En guerre » : Vincent Lindon et Stéphane Brizé, le duo gagnant de « la Loi du marché », sont en guerre contre les lois de l'économie libérale qui condamnent des salariés au chômage pendant que les actionnaires s'enrichissent. La chose est connue et se vérifie malheureusement très souvent dans les faits. Il s'agit ici d'en démonter la mécanique inexorable à travers le combat, que l'on devine perdu d'avance, de syndicalistes d'une usine d'Agen appartenant à un groupe allemand. Brizé filme les négociations, actions et manifestations comme des séquences d'actualité. On peut lui reprocher de trop donner la vedette à Lindon, entouré d'excellents non-professionnels, et de trop favoriser son personnage. Mais l'acteur est un porte-parole efficace de la cause et l'émotion que suscitent certaines scènes lui doit beaucoup.

Enfants en danger

L'enfance maltraitée est au cœur de « Capharnaüm », le troisième long métrage de la Libanaise Nadine Labaki (« Caramel », « Et maintenant on va où ? »). Un film qui veut embrasser aussi le sort des immigrés clandestins, le racisme, la situation de la femme, la pauvreté… (d'où le titre, qui décrit aussi la situation de certains quartiers de Beyrouth et d'un pays qui accueille 1 million de réfugiés syriens). La cinéaste croit au pouvoir du cinéma et veut s'en servir comme d'une arme.

Zain, le héros de 12 ans, intente un procès à ses parents pour l'avoir fait naître. Des flash-back, entre les courtes scènes de tribunal, expliquent l'enchaînement des faits. La pauvreté, le manque d'amour, la sœur de 11 ans « vendue » pour un mariage forcé… Zain fuit et va se retrouver seul à tenter de survivre avec un jeune enfant qui marche à peine. Difficile de ne pas être touché. Les acteurs sont des non professionnels, recrutés dans un casting sauvage. Zain Al Rafeea, réfugié syrien de 13 ans, est étonnant, comme la petite Yordanos Shiferaw, née en Érythrée (à 2 ans peut-on parler d'actrice ?).

Enfants et parents aussi dans « Une affaire de famille » d'Hirokazu Kore-Eda. Ici, la famille ne semble avoir comme caractéristique, au premier abord, que ses difficultés à joindre les deux bouts. Mais on peut compter sur le cinéaste japonais (« Nobody Knows », « Tel père, tel fils ») pour remuer le fer dans la plaie. Les parents n'aiment pas toujours leurs enfants, peuvent les abandonner, les faire souffrir. Inversement, nul besoin d'un lien génétique pour prodiguer de l'amour. La démonstration de cette vérité dont d'aucuns doutent encore passe cette fois par un garçon intrépide, une petite fille craintive et des adultes qui prennent les mauvaises décisions, avec des rebondissements policiers, puisqu'il y a une « affaire ». Un peu long mais saisissant.

La bestialité humaine

« Dogman » (sortie le 11 juillet), de Matteo Garrone (« Gomorra ») était très attendu. L'histoire a été suggérée au cinéaste italien par un fait-divers de 1988 et une vision qui s'est un jour formée dans sa tête, celle de « chiens enfermés dans une cage qui assistent comme témoins à l'explosion de la bestialité humaine ». Dans une banlieue lépreuse, Marcello est toiletteur pour chiens, un métier qu'il aime. Il mènerait une vie acceptable s'il n'avait pour ami une grosse brute accro à la cocaïne qui l'entraîne parfois dans ses méfaits. La mise en scène ne laisse guère de répit dans l'enchaînement des événements qui va mener à l'explosion. L'évolution du héros doit aussi beaucoup de sa vraisemblance et de ses nuances à son excellent interprète, Marcello Fonte. Prenant.

« Burning » (29 août), de Lee Chang-dong, figure parmi les films les plus appréciés de la compétition. S'inspirant d'une nouvelle du Japonais Haruki Murakami, il met en scène un attachant trio, un garçon d'origine rurale qui rêve de devenir écrivain, une fille fantasque et un jeune homme riche qui a un étrange passe-temps, brûler des serres. À travers eux, le cinéaste coréen veut notamment parler de la colère des jeunes adultes, qui ont souvent perdu tout espoir de voir leur situation s'améliorer. Mais c'est l'atmosphère de « Burning » qui retient. Il y a un mystère, qui ne sera pas résolu, et les indices semés au fil de scènes fortes sont l'un des plaisirs de ce grand film, un peu long lui aussi (2 h 30).

Renée Carton

Source : Le Quotidien du médecin: 9666