Les romans de la médecine

De la douleur à l'apocalypse

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Publié le 03/10/2016
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L-Anna

L-Anna

L-Les corps fragiles

L-Les corps fragiles

L-Le Cri

L-Le Cri

L-De Profundis

L-De Profundis

L-Le syndrome de Babel

L-Le syndrome de Babel

L-N'essuie jamais les larmes

L-N'essuie jamais les larmes

L-Le dernier combat du docteur Cassagne

L-Le dernier combat du docteur Cassagne

L-La mort de Mitali Dotto

L-La mort de Mitali Dotto

Alain Dubos, qui est pédiatre, a été vice-président de Médecins sans frontières de 1981 à 1987. Écrivain de longue date, il a plusieurs fois témoigné de ses expériences de médecine humanitaire (« les Rizières des barbares », « la Fin des Mandarins », « Tu franchiras la frontière »…). Avec « le Dernier Combat du Docteur Cassagne » (1), il revient à ses origines landaises, souvent évoquées.

Le héros, déjà âgé et veuf, vient d'enterrer son fils unique. Autour de lui se pressent les membres plus ou moins proches de sa famille et des personnalités locales, industriels ou édiles municipaux, qu'il connaît de longue date. Et Guillaume, son petit-fils autiste, dont il a désormais la charge. Ce dernier sera un allié inattendu pour protéger sa demeure et ses arpents de nature sauvage, tant convoités par les uns et les autres. Le livre d'un vrai conteur, empreint d'humanisme et de lucidité.

Entre réalité et fiction, « les Corps fragiles » (2) est le quatrième livre d'Isabelle Kauffmann, par ailleurs ORL. Elle y revisite la vie et la carrière de la première infirmière libérale de Lyon, qui, pendant plus de cinquante années, a soigné les corps et les âmes. Elle s'appelle Marie-Antoinette Masson et l'auteure l'a rencontrée et écoutée. Dans ce livre d'hommage qui est un vrai roman, c'est l'héroïne qui raconte, depuis l'origine de sa vocation lorsqu'elle avait 6 ans, en 1935. À ses souvenirs, l'auteure mêle les siens, introduisant une réflexion et des émotions puisées dans son passé de médecin.

Anirban Bose a fait des études de médecine dans sa ville natale de Bombay, puis a exercé dans plusieurs cités des États-Unis avant de retourner s'installer à Calcutta. Romancier à succès en Inde, il est traduit pour la première fois. Le héros de « la Mort de Mitali Dotto » (3) est comme lui un médecin, qui, après de longues années de pratique « américaine », intègre un hôpital de New Delhi où règnent la bureaucratie, la cupidité et la corruption. Par idéalisme et en hommage à son père, qui a consacré sa vie à soigner les pauvres, il va se battre pour sauver une jeune femme enceinte, plongée dans le coma après avoir été poignardée. Avec des airs de polar, le roman dénonce avec force l'inégalité des soins en Inde et, au-delà, une société gangrenée par l'argent.

Le huis-clos où nous plonge Thierry Vila dans « le Cri » (4), est celui d'un navire d'exploration pétrolière. Lil Servisky, chirurgien comme l'auteur, y embarque pour douze semaines en tant que médecin. Le drame qui s'annonce tient moins au fait qu'elle est la seule femme à bord qu'à sa personnalité, qui la met hors de portée. Lil est une métisse anglo-rwandaise, remarquable par sa très grande taille ; elle parle à très peu de gens mais elle déclame des poèmes face à l'océan, quand elle ne pousse pas des cris violents. Le récit comprend un versant clair, l'amour, platonique et généreux, qu'elle partage avec le chef mécanicien, et un versant sombre, les haines incontrôlables que son attitude va susciter.

Virus en tous genres

Jonas Gardell est une star en Suède : à la fois humoriste et animateur de télévision – marié à un confrère –, docteur en théologie et bien sûr écrivain, auteur d'une vingtaine d'ouvrages traduits dans plus de vingt langues. « N'essuie jamais de larmes sans gants » (5), un énorme pavé qui nous replonge dans les années sida, ne déroge pas à la règle des best-sellers. Le livre est à la fois une histoire d'amour et d'amitié bouleversante, un témoignage sur l'échec des politiques sociales ou sanitaires du « modèle suédois » et un plaidoyer contre l'exclusion et pour le droit à la différence. Un travail de mémoire écrit avec une colère souvent travestie en humour.

On ne parle bien que de ce que l'on connaît, même s'il s'agit d'un temps qui n'est pas encore advenu. Dans « De profundis » (6), la scénariste belge Emmanuelle Pirotte nous entraîne à Bruxelles, dans un avenir proche et une ville dévastée par Ebola III. Au moment où elle décide d'en finir, Roxane, qui survit grâce au trafic de médicaments frelatés, est obligée de prendre en charge sa fille, dont elle ne s'est jamais occupée. Pour échapper à la violence urbaine, elle décide de se réfugier avec l'enfant dans un coin de campagne, ignorant qu'elles y seront confrontées à une autre sorte de violence, plus insidieuse. Un mélange de genres entre dystopie et conte fantastique.

L'Italien Niccolo Ammaniti a choisi d'abandonner ses études de biologie pour se tourner vers l'écriture. Le prix Viareggio 2000 pour « Je n'ai pas peur », puis le prix Strega 2007 pour « Comme Dieu le veut » lui ont donné raison. « Anna » (7) est le titre et le nom de l'héroïne de son dernier roman, qui se situe en Sicile en 2020 – demain. Anna est une enfant en sursis, puisque depuis quatre ans un virus mortel, qui n'a ni origine ni limites, décime la population adulte. Protégée jusqu'à la puberté, elle s'occupe de son petit frère de 4 ans, s'efforçant de le protéger, dans un monde où il n'y a plus de gouvernement ni d'économie ni même de vie en communauté, et surtout de l'éduquer. Une lueur d'espoir dans une fable d'apocalypse où l'homme n'en finit pas de se détruire.

Présenté comme « un thriller archéo-biologique », « le Syndrome de Babel » (8) est le premier roman de Serge Braun, plus connu en tant que directeur scientifique de l'AFM- Téléthon. Ce spécialiste des maladies neuromusculaires imagine qu'une pandémie virale, qui se traduit par la perte progressive de la parole, menace l'humanité. Alors même que le déchiffrement des manuscrits de la mer Morte oriente les chercheurs vers le gène FOXP2, responsable de notre capacité à maîtriser les fonctions du langage. Un roman très documenté qui se rapproche de l'essai.

 

 

 

 

(1) Calmann-Lévy, 329 p., 19,50 €
(2) Le Passage, 138 p., 15 €
(3) Mercure de France, 327 p., 23,80 €
(4) Grasset, 269 p., 19 €
(5) Gaïa, 590 p., 24 €
(6) Le Cherche Midi, 286 p., 17 €
(7) Grasset, 318 p., 20 €
(8) Odile Jacob, 263 p., 21,90 €.

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9522