La morale de la convivance

De l'appartenance à l'engagement

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Publié le 12/02/2018
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Idées-Ethique de la considération

Idées-Ethique de la considération

« Éthique de la considération » commence par une attaque frontale contre notre système économique et notre mode de vie. Retour vers des thèmes qui pourront sembler assez classiques : création de nouveaux besoins, obsolescence programmée, gaspillage, d'où bien sûr exploitation du travail d'autrui et désastre écologique. Un système qui, dit-elle, « suppose la négation de la nature et l'absence totale de respect pour les animaux, qui sont traités comme de simples ressources et dont les besoins de base et la subjectivité sont niés ».

Ce dernier thème n'est pas chez Corine Pelluchon une vague allégeance à la mode qui passe. Elle montre comment le fait de consommer la chair animale implique de refouler la pitié que le spectacle de la souffrance devrait susciter en nous. Autrement dit, il est clivant.

Au-delà des « scandales » que constituent l'exploitation capitaliste, le non-respect de la Nature et des animaux, la philosophe analyse l'existence humaine comme responsabilité, à l'égard de nos proches, des générations à venir, des autres en général, et de notre propre vie.

Elle ne reprend pas les thèmes heideggeriens sur l'« être-pour-la-mort » ou l'angoisse. Le mal, ce serait plutôt la dissolution de tout sens, la réification des êtres humains, la dépersonnalisation. De ce point de vue, la vogue de l'intelligence artificielle et des post-humains font peser une réelle menace.

L'horreur, dit Corine Pelluchon, c'est moins le néant que ce qu'elle nomme « la nuit en plein jour », dont l'expérience des camps serait la terrible illustration.

La considération intervient alors comme volonté de construire un monde commun, « incluant le souci des autres et de la nature dans le souci le soi, alors le sujet s'élargit et se perçoit comme une partie de l'univers ». Cette volonté de vivre ensemble est nommée ici « convivance », une notion antérieure même au contrat social, et elle inclut tous les êtres vivants et l'ensemble des générations.

Comme toutes les pensées qui placent très haut la barre des responsabilités, celle de Corine Pelluchon implique de l'énergie et des efforts. Et on peut déplorer qu'elle fasse intervenir l'humilité, sentiment certes chrétien, mais tellement peu constructif !

Corine Pelluchon, « Éthique de la considération », Seuil, « L'Ordre philosophique », 288 p., 23 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9639