Romans et documents historiques

Déceptions et leçons de l'histoire récente

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Publié le 04/04/2016
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L 040416- Un été impardonnable

L 040416- Un été impardonnable

L 040416- Il est des morts qu'il faut qu'on tue

L 040416- Il est des morts qu'il faut qu'on tue

L 040416-Les cinq quartiers de la Lune

L 040416-Les cinq quartiers de la Lune

L 040416- Moura

L 040416- Moura

L 040416- Si c'est une femme

L 040416- Si c'est une femme

L 040416- Zazous

L 040416- Zazous

L 040416-Avant la haine

L 040416-Avant la haine

Gilbert Sinoué, né au Caire en 1947, a écrit une trentaine de livres à succès. Dernier volume de sa trilogie « Inch'Allah » (après « le Souffle du jasmin » et « le Cri des pierres »), « les Cinq Quartiers de la Lune » (1) rend compte, à travers des histoires d'êtres de chair et de sang, des bouleversements géopolitiques qui ont secoué le monde depuis les attentats du World Trade Center. On suit les destins d'hommes et de femmes, chrétiens, juifs, musulmans, naufragés entre l'Irak et la Syrie, Gaza et le Liban, au fil d'un roman plein de rebondissements et très documenté.

Français de religion juive né au Maroc, Thierry Cohen a imaginé deux personnages, Raphaël le juif et Mounir le musulman, qui ont grandi ensemble, partagé les mêmes rêves, les mêmes espoirs, les mêmes amours aussi, avant que naissent les désaccords, qu'apparaissent les ressentiments et s'insinue la violence. Le propos d’« Avant la haine » (2) n'est pas d'« expliquer » la haine mais de dévoiler les émotions ou les jugements – qu'ils soient vrais, tronqués ou faux – qui conduisent à se forger des opinions et, parfois, à se tromper sur « l'autre ».

Résistances

Sarah Helm est l'auteure d'un ouvrage remarqué sur la Résistance anglaise en France, « Vera Atkins, une femme de l'ombre ». C'est en écrivant ce livre qu'elle a découvert Ravensbrück, ce camp d'« extermination lente », où, durant six années, près de 130 000 femmes – des enfants aussi – ont été enfermées pour y mourir de faim et d'épuisement au travail, pour être empoisonnées, exécutées et gazées. « Si c'est une femme. Vie et mort à Ravensbrück » (3) rend hommage à ces femmes qui étaient rarement des juives (10 % environ) mais des opposantes à Hitler ou considérées comme des êtres inférieurs, prostituées, criminelles, handicapées ou Tziganes, des résistantes aussi (Germaine Tillon et Geneviève de Gaulle-Anthonioz ont compté parmi les 8 000 victimes françaises). Si maintes preuves de ces exactions ont été détruites, et bien des choses oubliées et déformées, cette enquête minutieuse et les paroles des rares rescapées et des familles des déportées ouvrent une page d'histoire restée marginale.

Romancier (prix Renaudot 2002 pour « Assam »), essayiste, poète et traducteur, Gérard de Cortanze a écrit avec « Zazous » (4) un roman swing, qui est aussi, dans une certaine mesure, un roman de la résistance. Il accompagne une petite bande de filles et garçons, étudiants et travailleurs, qui ont 15 ans lorsque la guerre commence et qui sont devenus des adultes lorsqu'elle prend fin. Des jeunes qui, en pleine Occupation allemande, veulent profiter malgré tout de leur jeunesse et qui opposent à la barbarie leur joie de vivre, la danse et la musique. Ils sont, pour l'auteur, des anticonformistes qui, à leur manière, ont fait de la résistance. (un coffret E.P.M. de 2 CD rassemble 52 titres des chansons et musiques écoutées par les adolescents de ces années noires).

Dans « Un été impardonnable. 1936 : la guerre d'Espagne et le scandale de la non-intervention » (5), Gilbert Grellet, qui a fait toute sa carrière à l'AFP, fait le récit implacable de l'erreur historique qui a conduit les grandes démocraties occidentales (la France de Léon Blum, appuyée par l'Angleterre de Winston Churchill et approuvée par l'Amérique de Franklin Roosevelt) à ne pas aider le « Frente Popular » espagnol, pourtant légitimement élu, face aux militaires putschistes soutenus par Hitler et Mussolini. Il raconte comment tout s'est joué de juillet à septembre 1936, trois mois qui ont scellé le sort de l'Espagne (Franco a pris le contrôle de la rébellion en faisant massacrer son peuple par des troupes étrangères) mais aussi celui de l'Europe lancée vers la guerre. Un été impardonnable et un modèle historique, souligne l'auteur, « pour tous les peuples victimes d'une diplomatie dont l'action ne repose pas sur les Droits de l'Homme mais sur les intérêts cyniques de quelques gouvernants ». L'ouvrage est préfacé par Manuel Valls.

Retour au roman vrai avec Alexandra Lapierre, qui, dans « Moura, la mémoire incendiée » (6), s'attache à cerner une femme aux mille visages disparue en 1974. Fille d'un sénateur de la cour du tsar Nicolas II, elle a connu Staline, Churchill, de Gaulle, elle a inspiré Maxime Gorki et H.G. Wells, elle a été aimée autant qu'on l'a détestée ; elle a été certainement une espionne, agent double peut-être travaillant à la fois pour la Russie et pour l'Angleterre, mais cela n'a jamais été prouvé. Elle a personnifié la vie et surtout elle a été libre, de corps, d'esprit, d'âme et de cœur, une liberté absolue qui, estime l'auteure, lui a permis de concilier l'inconciliable en parvenant à l'unité intérieure.

« Il est des morts qu'il faut qu'on tue » (7) est un livre touffu, à l'image de son titre. Dans ce roman noir qui mène de la Commune de Paris à la Libération, Roger Martin, auteur d'une trentaine d'ouvrages en tout genre, nous plonge dans une France raciste à travers les aventures d'un jeune audacieux infiltré, pour le compte des services secrets, dans les milieux nationalistes et antisémites. Aux abattoirs de la Villette, il côtoie le marquis de Morès, cofondateur de la Ligue antisémite de France, Jules Guérin, dont le journal « L'Antijuif » et l'épisode du Fort Chabrol immortaliseront le nom, ou encore Édouard Drumont, qui, dans les colonnes de « la Libre Parole », exalte la haine des juifs. Un retour aux sources qui est toujours d'actualité.

(1) Flammarion, 390p., 21 €.

(2) Flammarion, 663 p., 20,90 €.

(3) Calmann-Lévy, 889 p., 27,50 €.

(4) Albin Michel, 532 p., 22,50 €.

(5) Albin Michel, 273 p., 20 €.

(6) Flammarion, 730 p., 22,90 €.

(7) Le Cherche Midi, 538 p., 21 €.

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9485