Romans d’anticipation

Demain commence aujourd'hui

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Publié le 15/04/2019
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L15/04-Pour que le jour de votre mort

L15/04-Pour que le jour de votre mort

L15/04-La Séquestration

L15/04-La Séquestration

L15/04-La mer monte

L15/04-La mer monte

L15/04-Vox

L15/04-Vox

L15/04-Connerland

L15/04-Connerland

L15/04-Demain vous serez immortel

L15/04-Demain vous serez immortel

L15/04-Outresable

L15/04-Outresable

Lorsque le narrateur reprend conscience, il est enfermé dans une pièce de deux mètres sur trois sans porte ni fenêtre. Il n’a aucun souvenir de ses actes dans les jours qui ont suivi le dimanche noir du référendum ni des raisons qui l’ont conduit dans cette prison. Il dispose de nourriture sous forme de plats lyophilisés qu’il met à réchauffer dans un four à micro-ondes et d’un accès à Wikipédia et à Google Maps. Ses recherches sur l’ordinateur et des images de sa vie qui défilent sur les murs sont ses seules armes pour se réapproprier son passé. Peut-être a-t-il été journaliste, sans doute y a-t-il eu une révolte, voire une révolution. Il n'est pas interdit de faire un lien entre la fiction relatée par Nicolas Cano dans « Séquestration » (1), qualifié de « roman de la persécution et de la paranoïa contemporaines », et des événements actuels bien réels.

« La Mer monte » (2) se situe en 2042 ; le monde est envahi de robots, drones et créatures virtuelles, pour seconder les hommes dans tous les gestes du quotidien, au prix souvent de contraintes liberticides. Les grands de ce monde, eux, ont dû, après une série de catastrophes naturelles, entamer une transition écologique radicale. Dans le décor d’un Paris accablé par la chaleur et ultraconnecté, Aude Le Corff développe l’histoire d’un drame qui a bouleversé la mère de l’héroïne dans les années 1990 et qu’elle découvre en lisant le journal de cette dernière. Les deux récits alternent, qui nous basculent d’un monde familier à un monde imaginaire.

Sous le sable, dans le silence

Faire le lien entre un présent postapocalyptique et un passé fantasmé est aussi le propos d'« Outresable » (3), le nouveau récit de Hugh Howey après « Silo », la trilogie best-seller mondial publiée à partir de 2012. Le sable a englouti les villes et la civilisation humaine. En surface, les survivants se battent contre le vent, les dunes mouvantes et la soif. Équipés de combinaisons électroniques, les plus courageux plongent dans les profondeurs afin d’en remonter des matériaux leur permettant de survivre et les trésors enfouis des cités disparues. Palmer, marqué par la disparition mystérieuse de son père, est de ceux-là, qui va tenter un défi de taille : trouver la mythique Danvar, et en revenir. Sans trop s'embarrasser de rigueur scientifique ou technologique, Hugh Howey campe des personnages attachants et distille une atmosphère étouffante et oppressante qui assèche réellement la gorge.

Christina Dalcher est docteure en linguistique. L’héroïne de son premier roman, « Vox » (4), est une chercheuse en neurosciences qui, dans le silence de son laboratoire, s’est spécialisée dans l’aphasie. Elle n’a rien entendu des grondements de la rue, jusqu’à ce que le pays bascule dans une sorte de dictature fondamentaliste qui vise à redonner aux hommes leur place de maître et seigneur et à cantonner les femmes dans un rôle de bonnes ménagères. Leur parole est réduite à 100 mots par jour, sous peine de recevoir des décharges douloureuses et même mortelles. Si le thème de la dévalorisation des femmes par un régime totalitaire n’est pas nouveau, si le roman rend hommage au pouvoir du langage, on retient surtout la question centrale : pourquoi cette femme éclairée n'a-t-elle pas entendu les cris de protestation jusqu'à laisser les choses se dégrader ainsi, alors qu’elle aurait pu et dû élever la voix – avant de se la faire enlever ?

Contre la mort

La vie éternelle n’a pas fini de susciter des envies. C’est ainsi que René de Saint-Jean, scientifique d’origine franco-irlandaise, remet l'élixir de très longue vie dans l’actualité. « Demain, vous serez immortel » (5) a pour héros un soldat des temps modernes qui est amené à goûter ce fameux « bain de Jouvence » dont parle la légende. L’immortalité pour qui, à quel prix et pour quelle société future ? L’auteur nous mène jusqu’à l’aube du quatrième millénaire sur la Terre, la Lune et Mars, où se côtoient des immortels, des mortels et des robots de plus en plus humains. Un roman à suspense pour s’interroger sur le transhumanisme.

Si l’éternité nous est promise, on doit pour le moment s'accommoder de la mort et, pourquoi pas, en tirer profit. Tel est le thème développé par Lionel Abbo dans un roman drolatique et glaçant, « Pour que le jour de votre mort soit le plus beau de votre vie » (6). Adolphe Goldstein, juif trentenaire devenu croque-mort par opportunisme, multiplie les initiatives pour ne pas végéter dans le métier : funérailles personnalisées, cercueil connecté, épitaphes et cérémonies hors normes, organisation de paris sur la date du décès de personnalités ou de n'importe qui, passages de vie à trépas à la demande, etc. Adolphe ne manque pas d’imagination et les futurs défunts comme leurs proches en redemandent. Jusqu’à l’acte final et effrayant, relayé bien sûr par Internet et la télévision.

On retrouve les ingrédients de la mort et du rire dans « Connerland » (7) de l’écrivaine espagnole Laura Fernandez (« La Chica zombie »). Tout commence lorsque l’auteur de science-fiction Voss Van Conner s’électrocute avec son sèche-cheveux… et se réveille dans une sorte d’avion-vaisseau spatial encore tout mouillé. Les extraterrestres qu’il avait « côtoyé » toute sa vie l’ont-ils enlevé ? Ce qui est sûr, c’est que sur Terre son éditeur s’affaire à racheter les droits de ses 117 romans, dont les délires extraterrestres pourraient être considérés comme la marque du génie. Une histoire fantastique et farfelue pour rendre un hommage loufoque aux auteurs de science-fiction souvent visionnaires (Philip K. Dick, évidemment), qui, sans complexe et avec talent, sont allés au bout de l’invention et de la divagation. Pour notre plus grand plaisir.

 

(1) Grasset, 124 p., 14 €

(2) Stock, 245 p., 19,50 €

(3) Actes Sud, 399 p., 22,80 €

(4) NiL, 427 p., 22 €

(5) Odile Jacob, 272 p., 21,90 €

(6) Plon, 167 p., 17 €

(7) Actes Sud, 476 p., 23,50 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9741