Partir et/ou revenir

Des allers et des retours bien tempérés

Par
Publié le 24/04/2017
Article réservé aux abonnés
L-Gentilles filles

L-Gentilles filles

L-Le pays

L-Le pays

L-Sous le ciel

L-Sous le ciel

L-Le salut

L-Le salut

L-Fin de journée

L-Fin de journée

L-La disparue

L-La disparue

L-La terre que nous foulons

L-La terre que nous foulons

« À mon tour je dois partir, quitter ceux que j’aime, peut-être ne plus revenir, je ne sais pas encore. » Colette Fellous, qui est née à Tunis en 1950 et vit en France depuis l’âge de 17 ans, donne, avec « Pièces détachées » (1) un livre d’adieu. La mort, en juin 2015, de son ami l’écrivain Alain Nadaud, puis, deux semaines après, l’attentat sur la plage de Sousse qui a fait 39 victimes, ont déclenché cette nécessité d’écrire sur ses amis et ces inconnus disparus, sur son père, également atteint au cœur, sur son enfance en Tunisie et sa vie en Normandie, sur toutes les choses et tous ceux qui l’ont accompagnée jusqu’à ce 19ouvrage, qui ne sera certainement pas le dernier.

Conseiller principal d’éducation, comédien et musicien, Nor Eddine Boudjedia a publié en 2005 « Little Big Bougnoule », sur une génération perdue entre nostalgie d’un pays d’origine et difficultés d’une intégration mal acceptée. « Fin de journée au paradis » (2) est une histoire d’amour et d'exil. Elle commence par la rencontre de Yanni, d’origine algérienne, et de Flora, d’origine bordelaise, et s’achève à Damas dans un attentat perpétré « au nom de Dieu ». Une réflexion sur les valeurs de notre société et l’acceptation de la différence, portée par les voix de Yanni et de leur fils, devenus des âmes errantes.

« La Terre que nous foulons » (3), de l’Espagnol Jesús Carrasco ( « Intempérie », prix Méditerranée étranger 2015), a été couronné du Prix de littérature de l’Union européenne 2016. Le récit se situe en Estrémadure, annexée et soumise à la loi des vainqueurs. Parce qu’il lui rappelle son fils mort au combat, l’épouse d’un de ces militaires sanguinaires aide un « indigène » et écoute ses divagations sur le massacre de sa famille et ses années d’esclavage dans un camp de travail. Peu à peu, les cauchemars de l’homme se mêlent aux souvenirs de la femme, à ses rêves de jeune fille brisés par la violence de son mari. Lentement, leurs réalités se confondent et leurs voix s’unissent dans un lamento de compassion.

Auteur de trois recueils de nouvelles et d’un roman qui a reçu en Grèce le Prix d’État, Chrìstos Ikonòmou nous entraîne, avec « le Salut viendra de la mer » (4), dans une île de la mer Égée où se sont réfugiés des hommes et des femmes qui vivaient un enfer dans la ville du Pirée. Las ! L’île est elle aussi vouée à la haine de l’étranger, à la corruption, à la violence, à la peur : c’est la société humaine en miniature. Dans l’attente du salut, il reste à endurer les épreuves. Un récit puissant, qui brasse passé, présent et avenir. Le premier volume d’une trilogie à venir.

Anne Révah est pédopsychiatre et l’auteure de quatre romans, dont « Quitter Venise » et « l’Enfant sans visage ». Périple de deux âmes esseulées, « le Pays dont je me souviens » (5) est la Grèce, l'ultime arrêt d'un voyage qui réunit Philippe, 45 ans, fatigué d’une épouse qui le domine depuis toujours, et Myor, un clochard ascétique qui vit dans la forêt. Un voyage rempli d’espoir (Philippe rêve de retrouver l’amour de ses 15 ans et Myor de retourner au « territoire du lac » de son enfance), de confidences et de remises en question.

Choix de vie

C’est au Costa Rica que Daniel Quiros, écrivain costaricien installé aux États-Unis, nous invite dans « la Disparue de Mazunte » (6). Il s'agit moins d’un livre d’aventures que d’une quête. Celle menée par Julio Flores le long des côtes mexicaines, après la disparition en mer de sa sœur. Lui a choisi une dizaine d'années auparavant de s’exiler pour mener une brillante carrière dans la finance à Los Angeles. Mariana est restée au pays et s’est peu à peu marginalisée. D’abord vécu comme une contrainte, ce retour est pour Julio l’occasion de retrouver un semblant d’authenticité. Pour l’auteur, son odyssée est prétexte à nous plonger dans le contexte sociétal actuel du Costa-Rica.

Née au Pakistan, Roopa Farooki a grandi à Londres et partage son temps entre l’écriture et des études de médecine. Du « Choix de Goldie » à « l’Art acrobatique de la fugue », ses romans connaissent une large audience. Promis au même succès, « Gentilles filles, braves garçons » (7) évoque le destin d’une fratrie née dans les années 1940 dans le Pendjab, le futur Pakistan. Sous la férule d’une mère autoritaire, les enfants sont élevés pour être de gentilles filles et de gentils garçons : ces derniers seront envoyés l’un aux États-Unis et l’autre en Angleterre, afin de devenir des médecins, tandis que leurs sœurs seront des maîtresses de maison parfaites dès leur mariage. Rien ne se passera comme prévu. Mais les choix individuels sont-ils toujours plus faciles que les traditions ?

Le voyage, la migration et la confrontation avec l’autre différent, prennent une saveur très particulière dans les textes de la romancière et poète chinoise Li Juan, rassemblés dans « Sous le ciel de l’Altaï » (8). Ils racontent des fragments de son existence dans l'immensité des montagnes reculées de l’Ouest de la Chine, où sa famille tenait un bazar et atelier de couture semi-ambulant, qui se déplaçait pour suivre les troupeaux de moutons. Chinoise Han parmi les Kazakhs, elle contemple la vie des nomades et la succession des saisons avec une égale simplicité. Aujourd’hui comme hier, Li Juan poursuit ce qu’elle appelle le « chemin sauvage », une vie et une écriture aussi loin que possible du système, dans les montagnes de l’Altaï.

(1) Gallimard, 165 p., 19 €
(2) Anne Carrière, 171 p., 17 €
(3) Robert Laffont, 261 p., 19 €
(4) Quidam, 187 p., 20 €
(5) Mercure de France, 190 p., 17,80 €
(6) L'Aube, 347 p., 23 €
(7) Gaïa, 444 p., 24 €
(8) Philippe Picquier, 166 p., 18 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9575