De Margaret Atwood à Alice Zeniter

Détour vers des incontournables

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Publié le 02/10/2017
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L 02 10-De l'influence de David Bowie

L 02 10-De l'influence de David Bowie

L 02 10-Zéro K

L 02 10-Zéro K

L 02 10-C'est le coeur qui lache

L 02 10-C'est le coeur qui lache

L 02 10-L'art de perdre

L 02 10-L'art de perdre

L 02 10-La Vengeance du pardon

L 02 10-La Vengeance du pardon

L 02 10-Double piège

L 02 10-Double piège

Dans « la Servante écarlate », livre culte de Margaret Atwood (Robert Laffont, 1987) qui vient d'inspirer une série télévisée à succès, une caste ultraconservatrice a pris le pouvoir en Amérique et institutionnalisé l’esclavage sexuel pour se perpétuer. La romancière canadienne enfonce le clou avec une nouvelle « fiction spéculative », c’est-à-dire une contre-utopie inspirée du réel.

Né de l'inquiétude suscitée par les systèmes pénitentiaires à but lucratif et la précarité économique qui consume les États-Unis, « C’est le cœur qui lâche en dernier » (1) montre un couple au bout du rouleau qui se laisse séduire par un programme mis en œuvre dans la ville-forteresse de Consilience. Les laissés-pour-compte du système disposent d’un travail et d’un toit agréable, qu’ils cèdent le mois suivant à un autre couple pour loger et travailler dans la prison de la ville, alternant ainsi les rôles de surveillants et de détenus : l’abdication de la liberté contre la sécurité. Une réflexion de fond exprimée dans une intrigue tragicomique avec moult rebondissements, où, par exemple, les robots sexuels joutent avec les sentiments.

On n’écrit pas impunément une quinzaine de thrillers et autant de romans policiers sans laisser une empreinte reconnaissable. Ainsi Harlan Coben, qui revient avec un « Double piège » (2) finement ciselé. L’intrigue commence avec l’enterrement d’un homme qui vient d’être assassiné par des petits malfrats et l'apparition, sur l’écran d’une caméra que sa veuve – une femme-soldat traumatisée par la guerre en Irak – a installé pour surveiller la baby-sitter, de l’image de son défunt mari. Comme dans chacun des romans du maître du suspense, l’impression de « déjà lu » cède au désir irrépressible d’en savoir plus, jusqu’au bouquet final des dernières pages, vraiment inattendues.

Questions de vie et de genre

Un nouveau livre de Don DeLillo, figure culte de la littérature internationale, ne passe pas inaperçu. Sept ans après « Point Omega », l’octogénaire écrivain américain s’appuie sur un thème de science-fiction devenu réalité, la cryogénisation, pour dérouler, dans « Zero K » (3), dans une langue d’une grande beauté, une réflexion tant scientifique que philosophique.

Le narrateur est le fils d’un homme très riche et vieillissant, qui s’apprête à « congeler » sa seconde épouse, beaucoup plus jeune et atteinte d’une maladie incurable, dans l’espoir que les avancées de la biomédecine et des nouvelles technologies lui permettront d’accéder à une deuxième vie, promise à transcender la précédente. Un époux éploré qui va peut-être la suivre dans cette expérience de passage dans une autre dimension, afin de vivre la vie éternelle sous la forme d’une sorte d’être humain augmenté.

L’auteur du « Club des incorrigibles optimistes », Jean-Michel Guenassia, offre avec « De l’influence de David Bowie sur la destinée des jeunes filles » (4), une agréable fantaisie autour d’un sujet très actuel, le genre. Le héros-narrateur est un garçon de 17 ans qui a été élevé par deux mères et n’a jamais connu son père. Son allure androgyne et les vêtements de fille comme de garçon qu’il porte indifféremment font penser qu’il est gay alors que lui se définit comme « lesbien » et n’est attiré que par les filles. Ils sont les héros principaux, à côté d’autres personnages tout aussi atypiques, de multiples aventures et quiproquos qui vont mener cet ado pas comme les autres jusqu’à son père – et l’âge adulte. Le chemin est plaisant, traversé par un souffle de liberté.

Homme-orchestre de l’écriture romanesque et théâtrale, Éric-Emmanuel Schmitt se fait à nouveau nouvelliste, onze ans après avoir été encensé pour « Odette Toulemonde et autres histoires ». « La Vengeance du pardon » (5) rassemble quatre récits très différents qui explorent toute la gamme des relations entre culpabilité et pardon. Le texte qui donne son titre au recueil montre une femme qui visite régulièrement l’assassin de sa fille en prison, un psychopathe qui ne montre aucun regret, à qui elle finit par accorder son pardon ; mais à peine est-elle parvenue à lui faire regretter ses crimes et donc à le ramener dans le chemin de l’humanité, qu’elle l’abandonne en lui souhaitant : « Bienvenue en enfer ! »

Déjà primée pour « Sombre dimanche » et « Juste avant l’oubli », Alice Zeniter donne, avec « l’Art de perdre » (6) un roman qui la concerne directement et nous touche, en partie pour cela, profondément. Car l’auteure – par ailleurs normalienne et dramaturge – est petite-fille de harkis et c’est par le biais des interrogations de Naïma que revivent trois pans d’une Histoire longtemps occultée, des deux côtés de la Méditerranée : confrontée à une société traversée par les questions identitaires, la jeune femme retournera sur les terres familiales même si elle ne parle pas arabe.

 

(1) Robert Laffont, 441 p., 22 €
(2) Belfond, 365 p., 21,90 € (en vente le 5 octobre)
(3) Actes Sud, 298 p., 22,80 €
(4) Albin Michel, 328 p., 20 €
(5) Albin Michel, 326 p., 21,50 €
(6) Flammarion, 506 p., 22 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9606