Un livre posthume d'Oliver Sachs

D'infinies découvertes

Par
Publié le 29/10/2018
Article réservé aux abonnés
Idées-Oliver Sachs

Idées-Oliver Sachs


Une préface de Jean-Claude Ameisen, président d'honneur du Comité d'éthique, décrit un homme « habité et émerveillé par la puissance du langage » mais qui n'en reste pas à cet état contemplatif, car ce dernier permet d'agir sur le monde, de le changer.

« J'ai grandi dans une maison emplie de médecins et de discussions médicales, dit Sachs. Mon père et mes grands frères étaient généralistes et ma mère chirurgienne. » De là, on le devine, un prodigieux intérêt pour le savoir, la science en général, et pour les conditions mêmes de l'acquisition des savoirs, la manière dont naissent et persistent les théories, en commençant par l'évolutionnisme.

Il faudrait un livre entier pour témoigner de l'intérêt de Sachs pour l'œuvre de Darwin. Dans « le Fleuve de la conscience », une étude novatrice révèle que si l'auteur de l'« Origine des espèces » était passionné par les animaux géants, on a accordé peu d'attention à son œuvre botanique, qui comprend 6 ouvrages et 70 articles, tandis qu'il a rapporté de son voyage aux Galapagos plus de 200 spécimens.

Freud neurologue

Oliver Sachs relève une autre négligence : celle de la carrière de neurologue de Freud, durant la période qui va de 1876 à 1896, alors que cela permet de comprendre certaines des recherches psychanalytiques de ce dernier. Ainsi, on ne s'est guère intéressé à un Sigmund Freud travaillant dans le laboratoire du physiologiste Ernst von Brücke et étudiant le système nerveux d'un curieux poisson, le pétromyzon, ou celui de l'écrevisse.

Au début des années 1880, Freud passe à la neurologie clinique et étudie les systèmes nerveux humains au laboratoire du neuro-anatomiste et psychiatre Theodor Meynert. Entre 1882 et 1885, il observe des malades dans les salles de l'Hôpital général de Vienne.

Freud participe de près aux joutes théoriques de son époque, en particulier celles qui concernent la mémoire et l'amnésie. Il s'oppose aux théories simplistes comme celle des localisations cérébrales, et s'intéresse aux idées du neurologue anglais Hughlings Jackson, pour qui le psychisme est fait de strates, chacune contrôlant la couche intérieure. On peut y voir une anticipation du mécanisme du refoulement.

En d'autres termes, les objets d'étude du fondateur de la psychanalyse se rapprochent peu à peu de l'anthropologie, mais les théoriciens (qui sont souvent ses correspondants) insisteront plus sur le hiatus entre les deux moments que sur la continuité.

Autour de la vitesse

Pour en revenir à Oliver Sachs, on notera son profond intérêt pour la lenteur ou l'accélération du temps, ce qu'indique déjà son titre. Nous voyons des cyclistes passer très vite, très serrés, la chute est possible, mais à l'intérieur du peloton, les mouvements semblent lents et réfléchis.

Ceci conduit le neurologue à étudier les effets de certaines substances, comme le protoxyde d'azote ou le peyotl, sur la conscience du « temps normal ». Un pas de plus et dans un curieux chapitre intitulé « Vitesse », Sachs étudie les sentiments terribles d'accélération des gestes ou des paroles dans le syndrome de Gilles de La Tourette ou dans la maladie de Parkinson.

Un livre troublant, qui nous emmène de l'infiniment petit aux atomes de la durée, de Leibniz à Bergson.

Oliver Sachs, « le Fleuve de la conscience », Seuil, 272 p., 21 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9698