Havel à Paris, Brecht à Sceaux

Du côté des politiques

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Publié le 17/11/2016
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Theatre

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Crédit photo : MARION DUHAMEL

À l’Artistic Théâtre (1), Anne-Marie Lazarini met en scène deux pièces brèves de Vaclav Havel, deux pièces célèbres, « Audience » et « Vernissage », écrites en 1975 et montées ensemble, même si elles ont leur autonomie.

Le metteur en scène a eu la très bonne idée d’installer les deux moments dans des espaces particuliers, imaginés par François Cabanat. Tandis que dans le grand théâtre se donne « lAvare »de Molière dans une mise en scène de Jacques Osinski, on descend du côté de la petite salle. Et là, surprise. On est accueilli par un couple qui nous invite à un vernissage : c’est tout à l’heure, à la maison.

Frédérique Lazarini et Marc Shapira, dans des costumes très années 1970, élégance pays de l’Est, signés Dominique Bourde, distribuent leurs cartons. Mais d’abord, on s’installe sur des caisses de bois – possibilité de dossier, rassurez-vous –, face à un bureau aménagé dans un espace vitré, comme on en voit dans les garages. Ici on est dans une brasserie. Havel connaît : il y a travaillé. Sladek, Stéphane Fiévet, a convoqué l’un de ses employés, Vanek, Cédric Colas. Un intellectuel qui le fascine. Un double de l’auteur. Sladek rêve de rencontrer la comédienne la plus célèbre du pays, mais il demeure un chef. Il boit force bières, devant un Vanek interloqué. Il pose des questions. Il est ambivalent. C’est drôle, très ironique. Terrible. Les deux comédiens sont formidables.

Quarante minutes et l’on passe ailleurs : on entre dans un salon. Aux murs, un tableau en plusieurs formats, hommage au peintre tchèque contemporain Miloslav Moucha. On retrouve Vanek, mais il va être tout autant écrabouillé par ses chers amis, très finement interprétés. Même ton, cocasse et ironique. Formidable de réentendre Havel, décédé il y a cinq ans, l’homme que la Révolution de velours, en 1989, porta au pouvoir et qui ne perdit jamais ses hautes exigences morales.

Une actualisation contestable

Les exigences morales, elles sont mises à mal lorsqu’il s’agit des personnages d’« Arturo Ui » de Brecht. Écrite en 1941, la pièce dénonce Hitler et le nazisme en situant l’action dans le Chicago d’Al Capone. Aux Gémeaux de Sceaux (2), on découvre la version de Dominique Pitoiset avec Philippe Torreton. Après « Cyrano de Bergerac », le metteur en scène et le comédien affrontent le célèbre et très puissant ouvrage dans une traduction-adaptation de Daniel Loayza.

Avouons-le, on a quelque mal à comprendre le projet d’actualisation de cette dénonciation de la violence politique. Il n’est plus question de Chicago et du monde noir des malfrats qui veulent régenter le commerce de la ville, mais d’un univers d’aujourd’hui avec ses hommes en costumes de cadres. C’est très bien joué, prenant, mais comment accepter de voir magnifiées les images des autonomes se battant contre les forces de l’ordre d’aujourd’hui en France, scène de la voiture incendiée, comprise sur des airs de « Nabucco » ? Pourquoi réduire le drapeau français au seul usage de l’extrême-droite ? À trop vouloir démontrer, à trop vouloir coller à l’actualité, on perd la vraie puissance de l’œuvre, nous semble-t-il. Reste un spectacle très intéressant et très bien interprété par dix excellents comédiens.

 

(1) À 19 heures mardi, mercredi, jeudi, 20 h 30 vendredi, 18 heures samedi, 15 heures dimanche. Durée : 1 h 20. Jusqu’au 31 décembre. Tél. 01.43.56.38.32, www.artistic-athevains.com
(2) À 20 h 45 du mardi au samedi, à 17 heures dimanche. Durée : 2 heures. Jusqu’au 27 novembre. Une très longue tournée suit. Tél. 01.46.61.36.67, www.lesgemeaux.com

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9535