Malaise et mal-être social

Du laminage à l'écrasement

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Publié le 14/05/2018
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L-Un baiser

L-Un baiser

L-Le presque

L-Le presque

L-Habiletés sociales

L-Habiletés sociales

L-Les Biffins

L-Les Biffins

L-La Fin des idoles

L-La Fin des idoles

L-Vies déposées

L-Vies déposées

Nouvelliste prolifique et auteur de polars quand il n’écrit pas de scénarios de BD, Marc Villard nous entraîne, dans « les Biffins » (1) aux franges des Puces de Saint-Ouen. Malade et fatiguée de s’occuper des SDF et autres démunis avec le SAMU social (on comprend pourquoi en la suivant dans sa dernière maraude nocturne !), Cécile (la fille de Bird, le joueur de saxo qui a fini clodo dans le précédent roman de l'auteur) est maintenant chargée d’éviter les heurts entre les vendeurs agréés, les biffins, et les autres, de toutes origines, qui étalent leurs pauvres marchandises à même le trottoir pour gagner de quoi manger.

On ne peut faire autrement, et c’est un compliment, que de qualifier « les Biffins » de roman documentaire, tant les images et les scènes sont durement réalistes. Mais aussi, le livre fourmille de personnages et d’histoires qui, en quelques traits et quelques mots, prennent forme et vie. Aussi concise que précise, l’écriture de Marc Villard fait mouche à tous les coups.

Dans son premier roman, « Vies déposées » (2), Tom-Louis Teboul raconte les errances dans les rues de Paris de trois exclus, deux hommes et une femme. Il raconte sans réserve la faim, le froid, la drogue et l’alcool, la saleté, la violence. L’auteur, qui a 31 ans, connaît les marginaux : il a vécu six années à la Goutte-d’Or et, après avoir exercé le métier d’avocat pendant deux ans, il a rejoint le mouvement Emmaüs. Il dit avoir voulu écrire sur la grande exclusion après s’être rendu compte que le sort de ces individus ne le choquait plus autant que lorsqu’il a découvert cette misère. Cependant, plus que la rudesse et la désespérance des sans-domicile-fixe, le livre a pour thème la peur de la chute et de ne plus disposer assez de forces pour remonter à la surface. Une chute qui peut concerner tout le monde.

La norme ou le romanesque

Jeune auteure de 30 ans, Camille Cornu publie un surprenant roman qui parle de la difficulté – de l’impossibilité –- de s’adapter à la société et des codes sociaux qui diffèrent constamment. Son titre, « Habiletés sociales » (3), vient de l’intitulé de cours dispensés aux personnes jugées inadaptées, des cours d'« entraînement aux habiletés sociales », rassemblés dans un manuel. La narratrice a 18 ans. Abandonnée par ses parents et hébergée dans un foyer, elle doit apprendre les mots et les gestes de la vie en société Elle est pleine de bonne volonté et ne demande qu’à sortir de la classe des inadaptés, ceux qu'elle appelle les « Hors Saveurs », pour rejoindre les gens normaux, les « Vanillés ». Mais être une élève docile ne suffit pas. Qu’est-ce que la norme, et doit-on accepter de s’y conformer ou pas ?

Le cas exposé dans « le Presque » (4) est beaucoup plus personnel. François d’Épenoux (« Deux jours à tuer » et « les Papas du dimanche », adaptés au cinéma, « le Réveil du cœur », prix Maison de la presse 2014) y campe un homme de 54 ans, agent immobilier, marié depuis plus de vingt ans, avec deux enfants adolescents. Le problème est que cet homme presque encore jeune, presque heureux en ménage, presque satisfait professionnellement, a la nostalgie d’une autre vie, d’un destin plus romanesque. Quand sa femme lui donne l’occasion d’accomplir son rêve, il disparaît sans laisser d’adresse. Que va-t-il faire de cette liberté providentielle ? L’auteur pose ici la question de l’accomplissement : se contenter de ce que l’on a, est-ce de la résignation ou de la sagesse ?

La question que pose Jean-Guy Soumy dans son 18e roman est tout aussi originale : peut-on de nos jours, dans une société où le sexe est omniprésent, s’aimer comme au Moyen Âge ? C’est en tout cas ce que propose l’héroïne d’« Un baiser, rien de plus » (5), une grande bourgeoise de province qui a vingt ans auparavant abandonné ses études pour accompagner la carrière de son mari, à un étudiant issu d’un milieu modeste rencontré par hasard. Un amour partagé mais, comme elle ne veut pas tromper son mari, qu’elle aime, elle propose au jeune homme l’aventure de l’amour courtois où il devra se hisser au niveau d’exigence de sa maîtresse de cœur pour obtenir des témoignages d’affection de plus en plus intimes mais sans faire l’amour…

Spécialiste des médias et des industries culturelles, Nicolas Gaudemet a travaillé pour l’audiovisuel public, chez Orange, puis comme directeur des livres, de la musique et de la vidéo à la Fnac. Son premier roman, « la Fin des idoles » (6), dénonce notre société médiatique envahie d’écrans et de marques, la société du paraître. Pour la renverser, une « spécialiste du cerveau », ancien mannequin et docteur en neurosciences, infiltre une chaîne de télévision et crée une émission de téléréalité destinée à guérir les hommes et les femmes obsédées par la célébrité. Un psychanalyste médiatique et adversaire des neurosciences lui répond aussitôt. Commence alors une guerre des chaînes, avivée par des animateurs en quête d’audience et une cohorte de pseudo-experts qui s’affichent sans vergogne. Alors que chacun rêve de s’emparer des cerveaux disponibles, la France entière se passionne.

 

 

 

 

(1) Joëlle Losfeld, 118 p., 12,50 €
(2) Seuil, 331 p., 19 €
(3) Flammarion, 216 p., 17 €
(4) Anne Carrière, 211 p., 18 €
(5) Robert Laffont, 299 p., 19 €
(6) TohuBohu éditions, 474 p., 19 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9664