CLASSIQUE - « Le Nez », de Chostakovitch, à l’Opéra de Lyon

Extraordinairement bizarre

Publié le 24/10/2011
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Crédit photo : STOFLETH

« LE 25 MARS, il se passa à Saint-Pétersbourg un événement extraordinairement bizarre. » Ainsi commence « Le Nez » nouvelle de Gogol. Dmitri Chostakovitch, compositeur âgé de 21 ans à la vocation encore incertaine, s’inspira de cette bizarrerie pour composer son premier opéra.

Créé en 1930 cet opéra satyrique est, un peu plus de quatre-vingt ans après, encore et même en Russie, une rareté du répertoire. Il a été diffusé en Occident en 1977 grâce à l’enregistrement dirigé par Guennadi Rojdestvenski du fameux spectacle de l’Opéra de Chambre de Moscou de Boris Pokrovski, aujourd’hui disponible en vidéo (1 DVD VAI, distribution Codaex). Quelques rares productions et enregistrements ont depuis ravivé en Europe l’intérêt pour cette œuvre grinçante et allégorique qui raconte les déboires, sous le règne du tzar Nicolas 1er, d’un homme de la bonne société pétersbourgeoise qui a perdu son appendice nasal. Répercussions absurdes, sociales autant que psychologiques, pas si farfelues si l’on analyse bien le propos satirique, charge anti-petite bourgeoise, aisément transposable et transposé par Chostakovitch de l’époque des autocrates de la bureaucratie impériale à celle de la collectiviste époque post-révolutionnaire. En près de deux heures et dix tableaux et grâce à une découpe quasi-cinématographique (l’ombre de « Wozzeck » de Berg plane sans aucun doute) et avec une orchestration d’une cinglante originalité convoquant principalement vents, cuivres et percussions et de rares cordes, dont une balalaïka et un domra, voilà bien un OVNI du genre lyrique dont l’incongruité n’est pas faite pour attirer les metteurs en scène routiniers.

Un triomphe.

Le trait de génie a été de demander au plasticien, homme de théâtre et philosophe sud-africain William Kentridge de proposer sa version. Coproduit par l’Opéra de Lyon, le Metropolitan Opera de New York et le festival d’Aix, son travail a fait sensation l’été dernier et sauvé ce dernier de la dérive où l’ont entraîné une « Traviata » bien décriée et une création d’Oscar Bianchi peu enthousiasmante. Lyon vient de reprendre triomphalement cette production et on espère que la carrière de cette dernière ne s’arrêtera pas là. William Kentridge a réalisé un miracle, installant l’œuvre à la fois dans un espace scénique démultiplié et dans toutes les dimensions que l’œil peut appréhender dans un espace théâtral. Cinéma avec images d’archives et images d’animation, collages, juxtaposition de commentaires spirituels sont utilisés pour faire se succéder les tableaux assez disparates et leur donner une unité irréfutable. Pas une seconde l’œil n’a de répit. À aucun moment ne pèse le fait que près de 70 personnages fourmillent dans ce scénario complexe, avec parfois la démesure des mises en scènes d’Eisenstein, tout est limpide et facile à appréhender.

Kovaliov, le major privé de nez, est magistralement incarné et chanté par Vladimir Samsonov. On ne peut citer tous les personnages de cette distribution majoritairement russe, elle est impeccable jusqu’au moindre rôle parlé. Kasushi Ono dirige l’Orchestre de Lyon avec une précision chirurgicale et l’on en ressort, comme pour « Le Rossignol » de Stravinski par Robert Lepage, coproduit par Lyon l’an dernier, convaincu d’avoir vu un de ces spectacles qui compteront dans l’histoire de l’opéra en ce siècle.

Opéra de Lyon, tél. 0826.305.325, www.opera-lyon.com. Prochain spectacle : « La Vie parisienne », d’Offenbach, du 28 novembre au 8 décembre.

OLIVIER BRUNEL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9031