Retours sur le passé

Familles au fil de l'histoire

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Publié le 24/10/2016
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L-Le Roman égyptien

L-Le Roman égyptien

L-La dernière partie

L-La dernière partie

L-Le bal mécanique

L-Le bal mécanique

L-La Danse des vivants

L-La Danse des vivants

L-Revenir du silence

L-Revenir du silence

L-L'année la plus longue

L-L'année la plus longue

L-L'odeur de la forêt

L-L'odeur de la forêt

De Michèle Sarde, longtemps professeure en même temps qu'essayiste, biographe et romancière, on savait seulement qu'elle était née en Bretagne en 1939. Dans « Revenir du silence » (1), un roman où s'entrecroisent des personnages et des destins hors du commun, elle brise le silence dans lequel sa mère, Jenny, avait choisi de noyer le secret de ses origines. À l’issue d'une enquête de plusieurs années, l'auteur, qui tient le rôle de narratrice, remonte jusqu'aux racines de sa famille judéo-espagnole et retrace la saga des Sépharades de Salonique, installés pendant quatre siècles en terre musulmane avec leur religion et leur langue. Contraints de s'exiler après la chute de l'Empire ottoman, ses parents ont trouvé refuge à Paris en 1921, jusqu'à ce que la guerre les oblige à se cacher. À la Libération, sa mère lui a imposé une assimilation radicale passant par le baptême et la négation de toute son histoire. À la fois saga extraordinaire et récit authentique, le roman est en pleine actualité dans ces temps de questionnement sur la migration et l'intégration.

Pour Wieslaw Mysliwki, « la mémoire n'est qu'une fonction de l'imagination ». Le grand romancier polonais, 84 ans, deux fois lauréat du prix Nike, le Goncourt polonais (pour « Horizon » en 1997 et « l'Art d'accommoder les haricots » en 2010), en fait à nouveau la démonstration dans « la Dernière Partie » (2). Un homme d'affaires, doutant de pouvoir se fier à sa seule mémoire, se plonge dans son carnet d'adresses pour retracer sa vie entière. Surgissent des scènes de son enfance villageoise au sortir de la deuxième guerre mondiale, de ses années de formation pour devenir peintre, puis tailleur et antiquaire, de ses amis, de ses amours et de Maria, qui n'a cessé de lui écrire des lettres passionnées. Un roman philosophique et poétique, mais aussi foisonnant de vie et d'aventures.

L'art et la liberté

« Le Bal mécanique » (3), deuxième roman de Yannick Grannec, après le très remarqué « la Déesse des petites victoires », offre une traversée du XXsiècle à travers l'histoire d'une lignée d'artistes au destin tourmenté. Le récit commence de nos jours à Chicago, où un producteur de téléréalité apprend le suicide de son père, un artiste peintre de talent oublié qui vivait à Saint-Paul-de-Vence. Il découvre que le père de ce dernier, un marchand d'art découvreur de talents avant-gardistes, à la grande époque de l'école du Bauhaus, a disparu dans les années 1930. Sous couvert d'une quête des origines, le roman est un vibrant hommage à l'Art en même temps qu'une ode à la liberté et au pouvoir de la création.

Dramaturge (« le Caïman ») et romancier, Antoine Rault nous entraîne, avec « la Danse des vivants » (4), dans l'Europe de l'entre-deux-guerres déchirée par la violence des nationalismes. Au cœur du roman, un jeune soldat français, qui, en août 1918, s'est réveillé amnésique dans un hôpital militaire. Comme il parle aussi bien l'allemand que le français, le Deuxième Bureau l'infiltre dans l'armée allemande. Il participera à la guerre dans la Baltique avant d'être démasqué. Sous la forme d'un récit d'aventures et d'espionnage, où personnages imaginaires et réels se côtoient, l'auteur pose la question de l'identité et d'une époque bouleversée qui a donné naissance à la deuxième guerre mondiale.

« Le Roman égyptien » (5), qui a reçu le prix Sapir 2016, l'équivalent du Goncourt en Israël, est certainement le roman le plus autobiographique d’Orly Castel-Bloom. Elle y raconte l'errance géographico-politique des Castil. Depuis l’Égypte biblique, où la famille a choisi de rester, pour former une tribu qui oublie son judaïsme, en passant par l'Espagne, où ils se sont convertis pour échapper à l'Inquisition, jusqu'au départ des Castil d’Égypte pour rejoindre un kibboutz en Israël. La narratrice, qui n'a pas d'identité, est le fruit de ces trois expulsions historiques. Un roman familial audacieux.

Le pouvoir de la photographie est, comme dans « Eux sur la photo », qui avait révélé Hélène Gestern, au cœur de « l'Odeur de la forêt » (6). Le hasard et la curiosité conduisent Elisabeth Bathori sur les traces d'un homme mort au front en 1917, que la guerre avait arraché à ses études d'astronomie. Les photographies du lieutenant prises au front et la correspondance qu'il a entretenue avec le poète Anatole Massis, la poussent à rechercher la jeune femme dont il était amoureux. Utilisant plusieurs formes d'écriture – journal, lettres et narration directe –, l'auteure nous embarque dans un texte multiple et surprenant dans ses rebondissements, qu'il s'agisse de l'horreur de la guerre des tranchées, de la période trouble de l'Occupation ou du présent de la narratrice.

Né un 29 février

Après un recueil de nouvelles, le Québécois Daniel Grenier s'est lancé dans un roman historique et fantastique qui traverse près de trois siècles d'histoire de l'Amérique, de la prise de Québec par les Britanniques en 1760 au 11 septembre 2001, de la capitulation des Indiens au combat des Noirs américains. « L'Année la plus longue » (7) s'articule autour d'un certain Aimé Bolduc, qui, né un 29 février, ne vieillit d'un an que tous les quatre ans. On le voit ainsi participer à l'Histoire – la révolte des Patriotes, la guerre civile américaine, la révolution industrielle – tout en vivant la sienne. Alors même que son descendant direct, Albert, consacre sa vie à prouver l'existence de cet ancêtre mystérieux, en espérant que son propre fils, né lui aussi un 29 février, aura un destin semblable. Un roman porté par un vrai souffle épique. 

(1) Julliard, 402 p., 21,50 €
€(2) Actes Sud, 430 p., 23,80 €
(3) Anne Carrière, 539 p., 22 €
(4) Albin Michel, 491 p., 22 €
(5) Actes Sud, 197 p., 19,80 €
(6) Arléa, 698 p., 27 €
(7) Flammarion, 395 p., 21 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9528