Les romans de l'été (4)

Figures de femmes

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Publié le 02/07/2018
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L5- Une fille modèle

L5- Une fille modèle

L2-L'Hôtelière du Gallia-Londres

L2-L'Hôtelière du Gallia-Londres

L7- Serial Killeuse

L7- Serial Killeuse

L4- Après les ténèbres

L4- Après les ténèbres

L3- Chère Mrs Bird

L3- Chère Mrs Bird

L6- Splendeurs et fureurs

L6- Splendeurs et fureurs

L1-Juliette de Saint-Tropez

L1-Juliette de Saint-Tropez

Pour Valentin Spitz, qui est aussi psychanalyste, « littérature et famille ont toujours vécu imbriquées comme les pièces du même puzzle ». Après « Et pour toujours ce sera l’été », où un adolescent nommé Lucas cherchait à déchiffrer le mystère de la disparition de sa mère, il propose une autre enquête familiale, cette fois sur sa grand-mère, dans la même ville de Saint-Tropez et avec un narrateur qui s’appelle Lucas. Dans « Juliette de Saint-Tropez » (1), ce sont les années 1950 qui s’imbriquent habilement à nos jours, tandis que les tensions enfouies refont surface. On suit le parcours, hors du commun pour l’époque, d’une enfant traumatisée par la mort de son père, d’une femme qui a eu cinq enfants de deux maris différents qu’elle a dû fuir, et qui, de Nicole la brune est devenue Juliette la blonde, une femme d’affaires redoutable qui collectionne les amants, les chats, les chiens et les Ferrari rouges. Un jour, elle a disparu à son tour. En même temps qu’il cherche à comprendre comment les hommes n’ont jamais eu leur place dans cette famille, Lucas/Valentin salue une femme qui s’est affranchie des conventions pour être libre.

Plus classique, « l’Hôtelière du Gallia-Londres » (2) signe le retour de Bernadette Pécassou dans sa ville de Lourdes, où elle avait situé « la Belle Chocolatière ». Elle y décrit, des années 1950 à aujourd'hui, les mutations économiques et sociales qui sont allées de pair avec l’essor de l’hôtellerie moderne et l’ébranlement de la foi, à travers notamment l’affrontement de la fille du boulanger et de l’héritière du plus bel hôtel de la cité, entre autres personnages féminins tout aussi intéressants. Au cœur du récit, la volonté d’émancipation des femmes.

La guerre et ses conséquences

Situé pendant la deuxième guerre mondiale, le premier roman de l’Anglaise AJ Pearce est également une ode à l’amitié et au courage des femmes, écrite avec une once d’espièglerie qui explique le titre, « Chère Mrs Bird » (3). Alors qu’elle pense devenir correspondante de guerre, une jeune journaliste est chargée de répondre aux courriers des lectrices adressés à Mrs Bird, la redoutable rédactrice en chef d’un magazine féminin du groupe, étant entendu que seules les lettres vertueuses méritent une réponse. Or, les femmes, désormais seules, sont confrontées à des situations inédites pour lesquelles elles demandent conseil. Et l’on voit que, même à l’arrière, l’heure de la résistance a sonné !

Ex-chef d’entreprise, Martine Delomme s’est convertie avec bonheur à l’écriture. Son septième roman, « Après les ténèbres » (4), a pour héroïne une étudiante en droit et histoire de l’art qui découvre un tableau de Matisse, disparu depuis la fin de la guerre. Il figure parmi les toiles de maître réunies par le grand-père de l’avocat – et maire de la ville – chez qui elle effectue un stage et qui ne la laisse pas indifférente. Le dernier propriétaire de l’œuvre était un Juif polonais réfugié à Paris et déporté avec toute sa famille. S’agit-il d’un tableau volé pendant la guerre ou d’un faux ? Une intrigue sur le thème de la falsification, entre histoire d’amour, ambitions politiques et enquête sur le trafic des biens culturels.

Les femmes sont les héroïnes, ô combien malmenées, du nouveau Karin Slaughter, l’auteure notamment des séries « Grant County » et « Will Trent ». « Une fille modèle » (5) est un thriller psychologique qui court de drame en drame : lorsque, en 1989, à Pickeville, deux sœurs adolescentes sont agressées, l’une d'elles étant enterrée alors qu’elle respire encore ; et vingt-huit ans après, quand une jeune fille du lycée de la ville est accusée d’avoir tué deux personnes. Témoin du drame, Charlotte, qui ne se pardonne pas d’avoir fui jadis en abandonnant sa sœur et qui est devenue avocate comme son père – défenseur controversé des causes indéfendables. Elle va devoir s’immerger dans la machine juridique et affronter les images du passé. Trouver la vérité, celle d'hier comme celle d’aujourd’hui .

Christina Stead est une écrivaine australienne (1902-1983) qui a signé une quinzaine de romans (« l’Homme qui aimait les enfants ») et qui a beaucoup voyagé en Europe. La traduction de « Splendeurs et Fureurs » (6), une de ses premières œuvres (1936), devrait contribuer à sortir cette auteure majeure de l'oubli où elle est tombée en France. On se laisse en effet facilement séduire par ce drame romantique avant-gardiste, qui met en scène les flâneries d’Elvira dans le Saint-Germain-des-Prés de 1934. À 29 ans, elle a quitté Londres et son mari pour rejoindre son jeune amant anglais à Paris. Tandis que le couple croise des personnages plus ou moins extravagants, entre superficialité et engagement, la jeune femme commence à douter de son choix. Autour d’elle, plusieurs figures de femmes portent haut leurs revendications féministes.

Le personnage féminin le plus surprenant et le plus controversé est certainement Rhiannon, la « Serial killeuse » (7) imaginée par l’Anglaise C.J. Skuse, terne assistante éditoriale le jour, nymphomane écumant les coins malfamés et tueuse sans états d’âme la nuit. À sa décharge, le fait d’avoir survécu, une vingtaine d’années auparavant, à un massacre perpétré chez sa nourrice, et peut-être aussi que sa liste de « gens à tuer » contient des gens véritablement méchants… à côté de malheureux qui l’ont simplement contrariée ou agacée. Face à cette jeune femme psychotique et complètement déjantée, avec un goût plus que prononcé pour les grossièretés et un humour cynique à toute épreuve, on ne sait vraiment plus que penser ! A chacun de se faire son idée…

(1) Stock, 430 p., 19,90 €
(2) Flammarion, 302 p., 20 €
(3) Belfond, 352p., 21 €
(4) L'Archipel, 343 p., 20 €
(5) HarperCollins, 603 p., 20,90 €
(6) L'Observatoire, 496 p., 23,90 €
(7) Denoël, 543 p., 21,90 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9678