Une préface du journaliste Stéphane Bou, visionnant avec Rachel Ertel le documentaire « Nous les survivants », tourné en 1946-1947 à Lodz, constitue le cri, l'émotion première d'où découlera l'ouvrage. La spectatrice de 2018, qui n'a pas de souvenirs directs avant l'âge de 9 ans, découvre soudain sur l'image sa propre présence, parmi les enfants filmés dans une école yiddish de la ville. Au travers d'une anamnèse, d'un retour sur le passé, se dessine le projet de toute une vie, faire redécouvrir la langue, la littérature yiddish, qui furent « les chants d'un peuple assassiné ».
L'histoire de la petite fille déroule alors la tragique toile de fond d'une famille juive toujours menacée, toujours errante. Rachel Ertel est née en juillet 1939, à Slonim, en Pologne. « Ce n'était pas la meilleure date pour naître, évidemment, relève-t-elle. La guerre avait commencé et le Pacte germano-soviétique de non-agression allait être signé en août. En septembre, les nazis et l'Union soviétique envahissaient la Pologne. »
Suivre l'histoire de notre héroïne, c'est voir s'entremêler les trajets, les peuples et les langues. Le père déporté en Union soviétique puis revenu en Pologne, qui va disparaître lors du bombardement de sa maison, qu'elle ne connut jamais. Sa mère et elle assignées à résidence en Sibérie, où elles resteront jusqu'en 1946. Le reste de la famille qui rejoint le ghetto effroyable de Lodz « administré » par les nazis.
Comme les trois-quarts des juifs polonais entre 1945 et 1950, la famille quitte un territoire où ils ne sont pas les bienvenus. On ne peut pas ignorer le très lourd contentieux entre ces deux peuples, objet aujourd'hui encore d'une hypocrite dénégation de la part du PiS, le parti au pouvoir en Pologne.
Toujours est-il que la famille choisit la France, là où, entre les deux guerres, s'était créée une immense vie culturelle yiddish. S'il y a peu de contacts avec les « Israélites français » de longue date, le lien est en revanche fort avec les Juifs immigrés de l'entre-deux-guerres. Ce lien est le parler yiddish.
Petite langue, grande littérature
En 1982, Rachel Ertel écrit « le Shtetl », retour vers les petites bourgades juives, vers la Pologne, et regard sur des Juifs provisoirement vivants, avant le Khurbn, nom yiddish de ce qui sera la Shoah en France et l'Holocauste dans le monde anglo-saxon.
Le shtetl a donné naissance aux écrivains yiddish les plus prestigieux. Le yiddish, « petite langue mais grande littérature », dit Rachel Ertel, qui, dans le texte « les Fantômes du 9 rue Guy Patin », déplore le progressif rétrécissement de la culture yiddish. Comment un peuple dont les deux tiers ont été anéantis, peut-il restaurer une langue sans locuteurs ?
La réponse tient dans la création de cours à l'université, de séminaires de traduction et de formation d'enseignants. Autant d'efforts couronnés de succès pour que le yiddish ne soit plus « une langue fossile ».
Un travail d'archéologie, dit Rachel Ertel, afin de « garder la perte ». D’autant que fossiles, tessons et minéraux parfois remontent à la surface.
Rachel Ertel, « Mémoire du yiddish - Transmettre une langue assassinée », entretiens avec Stéphane Bou, Albin Michel, 226 p., 19 €
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