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Grandeurs et misères de la création

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Publié le 27/02/2017
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L-Divertissement

L-Divertissement

L-La danse

L-La danse

L-Supernormal

L-Supernormal

L-Les parapluies

L-Les parapluies

La chorégraphe Pina Bausch est au cœur de « Deux cigarettes dans le noir » (1), de Julien Dufresne Lamy (« Dans ma tête, je m’appelle Alice »). En route vers l’hôpital pour accoucher, une femme percute quelqu’un et ne prend pas le temps de s’arrêter. Lorsqu’elle apprend, de retour chez elle avec son bébé, que Pina Bausch est morte à Paris, elle est persuadée qu’elle a tué un génie. Elle se laisse alors happer par l’univers de la danseuse disparue et visionne inlassablement les films de ses ballets en allaitant son fils. Un livre comme une chorégraphie, où se côtoient la maternité et la danse, la vie et la mort.

Pourquoi danse-t-on ? Pour Else, qui exerce son art depuis plus de trente ans, la danse est une thérapie qui l’a sauvée de la catatonie où elle est tombée lorsque, enfant, elle a vu son père se faire tuer par un chauffard. Depuis, son corps a toujours été en mouvement. Jusqu’à ce que, se sentant épiée lorsqu’elle s’entraîne, la peur revienne et que la mécanique du mouvement se dérègle. Peur de la paralysie ou peur de la folie ? « La Danse sorcière » (2), de Karine Henry (« la Désœuvre ») est un voyage esthétique dans les hauts-lieux de la danse, avec une intrigue hitchcockienne.

« Tantôt ils font de moi un fou, tantôt ils me représentent comme un être doux d’une platitude qui n’a d’égale que la leur. Peut-être se trompent-ils. Et cela me fit grosse peine. » Réalisatrice et scénariste, Stéphanie Kalfon dessine, dans « les Parapluies d’Erik Satie » (3), un portrait tout en finesse du solitaire d’Arcueil. Entre hommage et biographie romancée, le livre se distingue par une écriture poétique et par l'approche des différentes facettes de la personnalité d’un musicien qui a toujours refusé les règles et l’académisme. Un premier roman original et séduisant.

Un vers de Paul Eluard donne son titre au sixième livre de Jessica L. Nelson (« Tandis que je me dénude »), « Debout sur mes paupières » (4), un roman sur la création dans lequel une femme oublie la banalité de son existence, et ses rêves évanouis d’évoluer dans la lumière, en se passionnant pour la vie de la photographe et mannequin Lee Miller. Sa fascination tourne à l’obsession et va l’entraîner dans une quête frénétique de la beauté jusqu’aux portes de la folie.

Plus réaliste, « Divertissement » (5) donne à voir les dérives d’un show-biz qui transforme les artistes en produits et les spectateurs en voyeurs. Après « Potentiel du sinistre », qui a reçu le Prix du roman d’entreprise et du travail 2014, Thomas Coppey met en scène la carrière d’une reine de la pop qui, à peine sortie de l’enfance, a conquis le monde entier, avant que l’alcool et la drogue ne précipitent sa chute. Dix ans après, un présentateur de talk-show sur le déclin fait le pari d’inviter la star déchue pour la confronter aux scandales et aux drames de son passé. Le spectacle continue.

Des pouvoirs menacés

Amateurs de comics, « Supernormal » (6), le premier roman du journaliste Robert Mayer, traduit en français quarante ans après sa première édition américaine et qui a inspiré des créateurs de superhéros de tous bords, est pour vous. C’est l’histoire de David Brinkley, un homme normal, et super. Après avoir été le plus grand des superhéros et alors qu’il a pris sa retraite et du poids, il doit à nouveau, en l’absence d’un Batman ou d’un Superman, enfiler ses collants et sa cape. Le voici lancé au secours de l’Amérique des années 1970 en proie au doute après l’affaire du Watergate et la fin de la guerre du Vietnam… et alors que ses pouvoirs tombent parfois en panne. Un thriller labyrinthique et humoristique.

Une romancière octogénaire adulée dans le coma, un jeune ami architecte et une thésarde qui travaille sur l’œuvre de l’écrivaine à l’instigation d’un de ses anciens amants, lui-même éminent poète, sont les héros mis en scène par la Chilienne Carla Guelfenbein. Dans « Être à distance » (7), ces trois personnages croisent le récit de leur vie et montrent peu à peu leurs blessures : une étrange phobie qui interdit tout contact physique pour l’étudiante, être un mari mal aimé et désargenté pour l’architecte, tandis qu’un pacte terrible unit la romancière et le poète. Une réflexion autour du talent et de la médiocrité, de la consécration et de l’oubli.

 

 

 

 

(1) Belfond, 300 p., 19 €
(2) Actes Sud, 638 p., 23 €
(3) Joëlle Losfeld, 212 p., 18 €
(4) Belfond, 298 p., 18 €
(5) Actes Sud, 266 p., 21 €
(6) Aux Forges de Vulcain, 311 p., 21 €
(7) Actes Sud, 313 p., 22,50 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9559