L’Irlande est à l’honneur. Avec Mike McCormack d’abord, et son troisième roman, « D’os et de lumière » (1). Rédigé en une seule et même phrase déroulée sur 350 pages, sans ponctuation et avec des retours à la ligne surprenants, ce livre remarquable est comme un chant proche de l’incantation, qui célèbre la vie par la voix d’un mort.
Reprenant la croyance selon laquelle, le jour de la Toussaint, les morts peuvent revenir sur Terre, l’auteur nous installe à la table de Marcus Conway, dans sa ferme du comté de Mayo, où il se remémore sa vie depuis l’enfance. Sa vie de fils de paysan, de mari amoureux, de père d’une fille devenue artiste plasticienne et d’un fils exilé en Australie, d’ingénieur du génie civil qui s’est heurté à la petite corruption locale. Il se souvient de ce jour où sa femme, comme la plupart des habitants du comté, a été empoisonnée par un virus présent dans l’eau du robinet. Ainsi, porté par le flux des souvenirs, se dessine le portrait d’un homme dans sa banalité mais aussi sa complexité, la nôtre.
Irlandais aussi Colm Toibin, dont l’œuvre a été couronnée de nombreux prix. Mais c'est de la Grèce antique qu'il s'inspire pour « Maison des rumeurs » (2), réécriture férocement moderne de la malédiction des Atrides. Nous voici à nouveau confrontés à cette famille sanguinaire, dont les héros racontent tour à tour leur histoire : le roi de Mycène Agamemnon, qui a sacrifié sa fille Iphigénie à sa gloire de guerrier, son épouse Clytemnestre, femme infidèle et mère vengeresse, leur fils Oreste, confus sur ses loyautés, et Électre, leur fille de l’ombre qui attend son heure. Colm Toibin réinvente la tragédie antique en la mettant à notre niveau d’humain. Car si les faits sont là, du sacrifice d’Iphigénie à la mort de Clytemnestre, les personnages agissent non plus sous l’emprise des dieux mais en totale liberté, guidés par leurs seules décisions et leurs passions.
Mère louve ou parents indifférents
Dans son dixième roman Véronique Ovaldé (« Et mon cœur transparent », « Ce que je sais de Vera Candida », « Soyez imprudents les enfants ») met en scène un personnage de mère louve, prête à tout pour protéger ses enfants. Mais de qui et de quels dangers ? Dès le début de « Personne n’a peur des gens qui sourient » (3), elle sème le doute : pourquoi Gloria a-t-elle quitté les rives de la Méditerranée pour se réfugier près d’un lac dans la forêt alsacienne de son enfance, n’emportant que deux livres pour sa fille aînée, deux peluches pour la petite et « le Beretta de son grand amour » pour elle ? En même temps qu’elle raconte la cavale, Véronique Ovaldé déroule le passé chahuté de cette femme habituée à se débrouiller et à se défendre seule depuis qu’elle a commencé, à 16 ans, à travailler comme serveuse dans un bar de la Côte tenu par un ancien ami de son défunt père corse. Un roman où chaque information ajoutée nous conduit sur une piste bientôt effacée, alors que chaque détail apparemment anodin a son importance.
Comptant parmi les principaux auteurs suisses contemporains (« les Larmes de ma mère », « la Joyeuse Complainte de l’idiot », « Louis Soutter, probablement »), Michel Layaz poursuit son exploration des failles familiales, « Sans Silke » (4) étant une illustration de l’indifférence parentale. Amenée à s’occuper de Ludivine, 9 ans, Silke, tout juste 19 ans, se prend d’affection pour la fillette et n’a aucun mal à entrer dans le monde onirique que l’enfant se plaît à créer. Personne ne les dérange, car les parents ne sont occupés que par eux-mêmes et leur amour exclusif. Inévitablement cette indifférence, ce rejet qui ne dit pas son nom, conduira au drame.
D'une génération l'autre
Ann Patchett, auteure de six romans (« Bel Canto », « Dans la course », « Anatomie de la stupeur »), est une conteuse hors pair et elle en fait avec « Orange amère » (5) une nouvelle démonstration. Un dimanche de 1964, en Californie, Albert Cousins, qui veut échapper à sa femme enceinte et à ses trois enfants, s’invite au baptême de la petite Franny, la fille d’un flic qu’il connaît vaguement… et tombe amoureux de la mère du bébé. Un amour réciproque qui implique divorces, déménagements, famille recomposée, avec pas moins de six enfants sur les bras durant l’été, et petits aménagements plus ou moins satisfaisants. Des années plus tard, Franny, séduite par un auteur culte qu’elle révère, lui raconte son histoire. Il en fera un roman à succès, au grand dam des membres de la famille désormais éparpillée mais soudée par le souvenir, le mensonge et la culpabilité. Suivant le destin de ses nombreux personnages sur plusieurs décennies, Ann Patchett nous oblige à rester sur le qui-vive en nous promenant d’une époque à l’autre et en multipliant petits et grands événements pour mieux mettre en lumière le mystère de la famille et la persistance des liens.
« Nous qui n’étions rien » (6), le quatrième roman de l’écrivaine canadienne d’origine chinoise Madeleine Thien, est à la fois une saga familiale sur trois générations et un roman épique qui englobe les principaux événements ayant eu lieu en Chine au XXe siècle. Finaliste du prix Man Booker et en cours de traduction dans le monde entier, le livre prend sa source à Vancouver, lorsqu’une jeune femme fuyant la répression de Tian’anmen est accueillie chez Marie, 10 ans, qui vit seule avec sa mère après que son père a choisi de retourner en Chine, où il a mis fin à ses jours. Elles découvrent que des liens puissants réunissent leurs deux familles, qui ont notamment partagé un amour démesuré de la musique. En s’appuyant sur des écrits et des morceaux de partition sauvés de la dictature, elles vont remonter le temps dans une quête des origines marquée par l’Histoire.
(1) Grasset, 352 p., 20,90 € (2) Robert Laffont, 282 p., 21 € (3) Flammarion, 268 p., 19 € (4) Zoé, 157 p., 16 € (5) Actes Sud, 302 p., 22,50 € (6) Phébus, 507 p., 24 €
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